Earth to the Ark ft Abby

Rien qu'un mot. Un seul petit mot suffirait. Pourquoi hésitait-elle donc ? Le silence pesait sur elle. Mais elle savait qu'il pesait aussi sur son interlocuteur, et cela la rassura. Elle pensa même à se lever et partir. Donner de l'espoir, le reprendre aussitôt. Cela lui ferait certainement du bien. Ça ne réparerait pas son cœur brisé, mais ce serait satisfaisant. La seule vengeance qu'elle pouvait avoir pour le moment. Certes, elle avait déjà retiré son bracelet, prétendant le faire pour le bien commun alors qu'elle voulait faire souffrir une personne en particulier, et elle ne doutait pas d'avoir obtenu l'effet escompté. Mais maintenant ? Etait-ce une bonne chose de mettre fin au cauchemar qu'elle avait voulu créer ? Juste en prononçant un mot.
Un mot, et l'Arche saurait qu'elle était en vie. Un mot pour rassurer sa mère. Celle qui avait menti. Celle qui les avait trahi son père et elle. Celle qui prétendait vouloir le bien sa fille. Clarke ne savait plus, depuis qu'elle avait appris la nouvelle, si elle pourrait lui pardonner. Elle avait concentré sa haine sur deux personnes : Kane et Wells. Ce dernier avait tout fait pour la protéger et elle lui en avait voulu. Il était mort avant qu'elle n'ait pu rattraper le temps perdu, celui qu'elle avait passé à le haïr inutilement. Son seul ami ! Elle avait repoussé son seul ami ! Qui d'autre se préoccupait de Clarke, ici ? Finn ? Depuis combien de temps connaissait-elle ce dernier ?
C'était comme si sa vie était une illusion qui avait pris fin au moment même où elle s'était réveillée dans le vaisseau. Elle s'était retrouvée dans un nouvel univers. Elle avait fait face à tous les problèmes jusqu'ici. Elle aurait pu mourir. Les autres auraient pu mourir. Et pourtant, la seule chose que Clarke ne pouvait pas gérer était son ancienne vie. Ses sentiments contradictoires.

- Maman ?

Elle l'avait fait, finalement. Parler. Car elle s'était rendue compte que partir maintenant serait égoïste. Les autres avaient besoin de l'Arche. Ils avaient besoin de quelqu'un pour parler au chancelier. Aux dirigeants qui les avaient fait enfermer. Qui d'autre que Clarke pour ça ? Elle les connaissait depuis si longtemps qu'elle ne se souvenait même pas les avoir rencontrés. Pour sa mère, cela allait de soi. Mais elle pensait aussi à Thelonius Jaha. Ils avaient passé assez de temps ensemble pour qu'elle puisse lui parler normalement, sans crainte. Après tout, il avait le droit de savoir. Tout comme Clarke se devait de porter l'annonce de la mort de Wells.
Elle ne savait pas encore comment se terminerait cette conversation. Elle ne savait pas non plus si elle la supporterait. Mais il fallait au moins essayer. Pour les autres, les Cent, désormais les siens.

Cela faisait longtemps que Clarke n'avait pas entendu la voix de sa mère prononcer son prénom. C'était étrange. Elle n'arrivait pas à distinguer l'émotion qui la tourmentait le plus. La joie d'entendre sa mère ? La colère de la trahison ? Elle blâmait sa mère pour lui avoir menti, mais elle s'en voulait aussi à elle-même pour avoir rejeté Wells aussi longtemps. Il était son meilleur ami. Il avait été là pour elle. Jusqu'au bout. Pourtant, elle avait découvert la vérité trop tard. Elle avait à peine eu le temps de lui pardonner avant son assassinat. Survivre ici-bas aurait été tellement plus simple avec quelqu'un sur qui compter ! Bien sûr, elle n'était pas seule, mais Wells avait été son seul lien avec l'Arche, ce qui lui restait de sa vie là-haut. Elle aurait aimé pouvoir encore discuter avec lui.
Elle se perdait dans ses pensées. C'était plus simple que de trouver quoi dire. Elle sentait la présence des autres autour d'elle et savait aussi que sa mère n'était pas seule non plus. Ce n'était pas le moment pour une confrontation. Autant aller droit au but. En finir avec cette tâche.

- Maman, la majorité d'entre nous est encore en vie. La Terre est viable, mais nous ne sommes pas seuls.

Elle n'ajouta rien d'autre. Elle devait attendre une réponse, s'assurer que son message était bien passé. Les informations complémentaires viendraient ensuite.

D'un autre côté, elle aurait préféré que quelqu'un d'autre réponde. Ça aurait été moins difficile pour elle d'annoncer les nouvelles à quelqu'un qu'elle ne connaissait pas aussi bien que sa mère. Même Jackson aurait été préférable. Lui au moins n'avait pas dénoncé son père au Conseil. Pour combien de temps encore Clarke en voudrait à Abby ? Elle-même ne le savait pas. Pour l'instant, tout se mélangeait dans son esprit. Elle se jura de ne pas chercher à y voir plus clair pour le moment. Il y avait d'autres priorités, comme faire en sorte que tous restent en vie. Ils avaient déjà perdu trop de monde. Et maintenant qu'ils étaient parvenus à contacter l'Arche – grâce à Raven – ils pourraient peut-être enfin avoir de l'aide.

Elle ne savait pas comment le dire. Comment annoncer à l'Arche qu'elle avait perdu des enfants ? Alors qu'elle était encore en vie. Alors que beaucoup d'entre eux avaient survécu. C'était injuste. Les parents des défunts pensaient leur enfant en cellule, protégé par les murs métalliques. Mais non seulement leur enfant avait été envoyé à des milliards de kilomètres d'eux, mais en plus ils étaient morts. Et Clarke devait porter ce message. Elle leur devait bien ça. Et alors elle pensa à Wells. Thelonius avait sûrement espoir. Il espérait peut-être revoir son fils un jour.
Clarke soupira discrètement. Pour Wells. Elle lui devait bien ça.

- Sept. Sept d'entre nous sont morts. Elle fit une pause. Thelonius était-il là ? Probablement. De toute façon, elle devait l'annoncer. Il avait le droit de savoir. Mieux valait l'empêcher de se faire plus d'illusions. La vérité était plus importante aux yeux de Clarke que l'espoir. Son père en avait été le symbole. Wells Jaha est mort. Elle l'avait déclaré de façon solennelle, plus officielle qu'elle ne l'aurait souhaité, mais elle n'avait pu se résoudre à y donner quelque émotion. Autrement, elle n'aurait pas tenu.

La seconde question de sa mère lui permit de se recentrer sur la conversation. Arrêtons de parler des morts. Parlons des vivants, c'était le plus important. Clarke avait dit qu'ils n'étaient pas seuls ici-bas et elle n'avait pas tort. Cela semblait incroyable, étonnant, pour les gens du ciel. Si on le lui avait dit, elle ne l'aurait pas cru. Mais elle l'avait vu de ses propres yeux, alors elle n'avait pas eu droit au doute.
- La Terre a toujours été viable. Des populations ont survécues, seulement elles ne semblent pas apprécier notre présence. Si la Terre est viable, elle n'est pas sans danger.
Cela ne signifiait pas « Faites attention, prenez vos précautions avant de venir. » mais plutôt « Venez tout de suite nous aider. ». Car seuls, ils ne survivront pas. Sans arme, avec un tel effectif, ils ne tiendront pas longtemps si un conflit était engagé avec les Grounders. Si Clarke espérait ne pas en arriver là, elle préférait ne pas se faire d'illusions. Après tout, elle avait toujours fait en sorte de rester terre à terre, la raison qu'elle tenait de son père.

Sept morts, et sûrement plus à venir. Clarke jeta un œil à la table à côté. Finn serait peut-être le huitième. Elle ferait tout pour éviter ça, évidemment, et la première chose à faire pour cela était de laisser sa fierté de côté et de demander de l'aide à sa mère. Certes, elle en voulait terriblement à celle-ci pour avoir trahi son père, mais le moment était critique. La situation des Cent ne pouvait dépendre des sentiments d'une adolescente. Clarke ne serait pas celle qui les tuerait tous. Elle n'avait pas fait tout son possible pour les garder en vie pour tout détruire maintenant à cause d'une querelle. Une querelle importante à ses yeux, mais une querelle personnelle.

Elle repensa aussi aux Grounders, le danger général. Si la radioactivité les avait tout d'abord effrayés, elle s'était avérée totalement inoffensive. Les jeunes adultes avaient pensé s'en sortir. Ils n'avaient qu'à se construire un camp, se répartir la tâche, et à eux les fêtes interminables !
Mais non. Non, il fallait que l'homme invisible envoie une lance dans l'abdomen de Jasper. Un homme invisible bientôt apparu sous l'allure d'un guerrier tout en fourrures avec des armes primaires. Les Grounders n'avaient peut-être pas l'air très sophistiqués, mais ils savaient se battre et Clarke n'osait pas imaginer le nombre attendant actuellement de marcher sur leur camp pour les anéantir.
- Les Terriens n'apprécient pas notre présence. Mais ça peut attendre. Pour l'instant, l'un de nous est en danger de mort. Il... il a un couteau planté dans la partie gauche de son ventre.
Sa mère avait plutôt intérêt à lui offrir son aide, car Clarke ne se voyait pas en formuler la demande. C'était au-dessus de ses forces. S'il le fallait, elle n'aurait d'autre choix que de le faire, mais autrement, elle préférait oublier. Oublier qu'elle ne savait plus quoi penser de sa mère pour sauver Finn d'une mort imminente.

Elle laissa couler les mots de sa mère. Elle était obligée de les écouter, elle n'avait pas d'autre choix, considérer le fait de partir serait condamner Finn. Ce n'était pas envisageable. Ils avaient besoin de lui. Elle avait besoin de lui. Raven avait besoin de lui.
Elle secoua la tête. Il fallait qu'elle arrête de penser à ces choses. Elle avait eu une histoire avec Finn, une belle histoire coupée court par l'arriver du mensonge. Car leur abrupte séparation n'avait en aucun cas pour cause la jeune mécanicienne récemment tombée du ciel. Bien au contraire, si Finn avait été honnêtre envers Clarke dès le début, tout serait resté dans l'ordre. Clarke serait restée dans cette solitude à la fois agaçante et réconfortante qu'elle avait côtoyé pendant un an, là-haut dans cette petite cellule spatiale. Finn aurait revu sa copine quelques temps après son arrivée sur Terre et le jeune couple aurait pu s'épanouir sur ces nouvelles terres fertiles.
Certes, en laissant les choses défiler de cette façon, Clarke avait peut-être de quoi en vouloir au jeune homme. Celui-ci était amusant, distrayant, téméraire. C'est à cause de ce dernier défaut qu'il se retrouvait maintenant avec un poignard planté dans l'abdomen. Clarke allait le sauver. Elle en était convaincue. Elle ne pouvait pas ne pas le faire. Finn devait survivre. S'il mourait ce soir, ce serait de sa faute. S'en remettrait-elle au moins ? La dernière mort qui l'avait touchée l'avait conduite en cellule d'isolement. Jake Griffin flottait encore là-haut, quelque part, Clarke l'espérait vivement. Enfermée par le ciel, la jeune femme avait imaginé le corps de son père tomber sur Terre, s'écraser au cœur d'une immense forêt verte, porté par le vent pour atterir dans un nid de feuilles mortes – ou encore couler dans l'océan, flotter dans les eaux comme il avait pu le faire dans l'espace, bousculé par les vagues, glissant entre les animaux marins pour, un jour, toucher les bas-fonds qu'aucun d'entre eux ne verra jamais.

C'était idiot. Totalement inutile. Ce genre de pensées n'avait pas sa place dans une salle d'opération, on le lui avait déjà dit, encore moins une salle d'opération improvisée dans un vieux vaisseau écrasé en plein milieu de la forêt avec des dizaines de spectateurs curieux et effrayés par une tempête dont la brise agressive caressait déjà les parois de l'habitâcle.
- Ok – ok.
Elle essayait de se concentrer. Ses balbutiements n'allaient rassurer quiconque, elle-même encore moins. Elle s'approcha de Finn – contenant les douleurs que provoquaient en elle celles du jeune homme – et essaya de déterminer avec précision l'endroit touché. Elle essaya de le décrire comme elle le put à sa mère. Là-haut, ils avaient de quoi faire. Mais Clarke n'était pas là-haut, et toutes les indications du monde ne suffiraient peut-être pas à l'aider pour sauver la vie du garçon.

Concentration sur la blessure de Finn. Rien d'autre. Ni sur le fait que le garçon était torse nu, encore moins sur la voix de sa mère qui faisait pulser le sang de Clarke plus fort contre ses tempes. Ce n'était pas le moment pour une confrontation. Elle ne cessait de se le répéter. Pourtant, elle avait une terrible envie de dire à sa mère au combien elle la détestait, promettant même de tout faire pour ne jamais la revoir. Ils l'avaient envoyée sur Terre avec une très forte probabilité de mort ? Très bien, rien n'engageait Clarke à revoir qui que ce soit. Par ailleurs, Clarke avait retiré son bracelet dans l'espoir de faire souffrir Abigail, de lui montrer ce qu'elle avait ressenti lorsque son père avait disparu dans le vide, et ce vide-là qui, justement, avait empli tout son être à la fermeture des portes métalliques de sa cellule – cette douleur qu'Abigail n'avait apparemment pas ressentie, ou d'une façon bien plus apaisée. Quand le chef de la sécurité l'avait laissée là, sur le sol froid de cette maudite cellule d'isolement, Clarke avait longuement remplacé le visage de son père avec celui de Marcus Kane, qu'elle haïssait à cette époque-là plus que tout, mais dont la haine qu'il lui inspirait se voyait aujourd'hui partagée avec Abigail Griffin.
Cela la dégoûtait d'autant plus de savoir que, à son arrivée sur Terre, elle avait beaucoup pensé à sa mère – seule proche qui lui restait sur l'Arche – et avait imaginé la revoir ici-bas, au milieu de la forêt, où elles auraient pu admirer ensemble les différents paysages. Puis les premiers blessés s'étaient montrés et le besoin d'avoir sa mère à ses côtés s'était fait ressentir plus encore chez la jeune femme. La preuve en ce moment même : Finn risquait la mort et Clarke n'était même pas fichue de le sauver toute seule. Clarke avait besoin de sa mère et cette nécessité la dégoûtait bien plus que l'odeur nauséabonde qui régnait dans la pièce. Au fond, peut-être qu'elle ferait bien de prendre quelques gorgées de ce désinfectant improvisé...
Elle venait de se désinfecter les mains, chose si évidente qu'elle n'avait pas eu besoin du médecin pour savoir qu'il fallait le faire avant de toucher à une plaie. Elle se baissa ensuite pour observer la blessure de plus près et fut rassurée de constater l'absence de tout liquide.

- Non, aucun liquide, répondit-elle avec un dédain à peine maîtrisé.
Elle se rabroua, se répéta encore une fois que ce n'était pas le moment de semer le trouble, et se concentra de nouveau sur la plaie, attendant les prochaines instructions. Il fallait qu'elle sache si elle pouvait ôter ce couteau de l'abdomen de Finn sans risquer d'aggraver sa situation. Encore une fois, elle devait faire preuve de neutralité, voire de stoïcisme. Elle avait à faire à deux menteurs : l'un très loin d'elle, l'autre juste en face en train d'agoniser sur la table.
Ses sentiments contradictoires ne devaient pas empêcher Clarke de procéder efficacement, alors elle tâcha de tout mettre de côté et de considérer sa mère et son – quoi ? Ex-petit-ami ? Petit-ami ? Petit-ami potentiel avant l'arrivée de la copine de celui-ci ? – ami comme deux inconnus qu'elle entendait d'une part et voyait d'autre part pour la première fois de sa vie.
Comment ça, cette voix et ce visage me sont familiers ? Ils ne me disent rien du tout.
Son cœur luttait contre son esprit, de plus en plus depuis son arrivée sur Terre, et il semblait à Clarke qu'elle allait devoir s'y habituer, car ici-bas il n'y avait plus de murs métalliques pour les protéger, ni de vide rassurant pour conserver leurs pleurs et leurs cris.
- Je fais quoi maintenant ?
Un ton neutre. Froid. Distant. Un crissement de métal, un sentiment de vide : tout ce que Clarke n'avait plus sur Terre et qui s'avérait pourtant utile en territoires hostiles.

De la chance. Il avait eu de la chance. Pouvait-on vraiment appeler ça de la chance ? Ne pas mourir ? Clarke en rirait au nez de sa mère si la situation n'était pas grave. Et Papa, il a juste pas eu de chance? pensa-t-elle en considérant la lame plantée dans l'abdomen de celui qui aurait pu être sien s'il n'avait pas menti sur sa situation. Et Wells, il était juste totalement malchanceux. Il a survécu au voyage, aux radiations, aux dangers de la Terre, mais il a fallu qu'une gosse le tue pour aller se tuer ensuite. Elle n'avait pas besoin de réconfort. Pour l'instant, elle voulait juste en finir avec cette intervention. Au moins, après, elle sera fixée sur l'état de Finn et pourra mettre un terme à cette conversation avec sa mère. On a tous vraiment pas de chance.

Très légèrement sur la gauche. Ses mains maintenant fermement le manche du poignard, elle se concentra sur l'inclinaison de la lame et souffla un coup avant d'être projetée en arrière par une violente secousse. La tempête faisait rage. Cela représentait ironiquement son état d'esprit. Parlant de chance... gémit-elle mentalement en essayant de se redresser. Sur les genoux, elle remarqua la présence du poignard entre ses mains. Oh non. Elle se leva en toute hâte, ignorant les complaintes des autres délinquants répartis dans le vaisseau pour aller au chevet de Finn. Son cœur battait terriblement vite. Etait-ce seulement un effet de la secousse ou un coup de la terrible angoisse qui givrait tous ses membres à l'idée que, peut-être, elle venait de mettre un terme à la vie de Finn ? Elle lui en voulait, certes, ils étaient en conflit, aussi, mais elle ne souhaitait pas sa mort. Si elle ne pouvait perdre personne d'autre après le nombre d'entre eux déjà sous terre, elle ne pouvait définitivement pas perdre Finn. Il restait important pour elle. Un réconfort non négligeable à son arrivée sur Terre.

Elle fut soulagée de s'apercevoir que le couteau avait proprement été extrait du buste de Finn. Il survivrait. Il le devait bien. Elle souffla, fermant les yeux un instant pour calmer son cœur fou. Il allait s'en sortir. Elle ouvrit les yeux, prête à se battre à nouveau. La chance...? Non, il ne s'agissait pas de chance. Cette tempête aurait pu tuer Finn, ça n'aurait pas été de la malchance, mais seulement une mauvaise capacité d'adaptation. Les Cent faisaient bien face à leur première tempête d'importance, il était à eux ensuite de protéger au mieux leur campement – comme ils avaient entrepris de le faire contre les Grounders – en vue d'éventuelles tempêtes de la sorte, voire plus importantes encore.
- Tout va bien, indiqua-t-elle dans la radio, incapable de cacher son soulagement. La lame a été extraite avec succès.
Elle laissa sa main tenant la radio retomber sur la table improvisée. Finn irait bien, pour le moment, mais il n'était pas question de chance. Si la lame avait été ôtée correctement, il n'était pas encore tout à fait certain que le jeune homme était tiré d'affaire.

Clarke espérait vivement que ça n'empirerait pas. Ils n'avaient pas beaucoup de matériel ici-bas et elle n'avait pas plus de capacités. Elle s'étonnait déjà d'avoir pu ôter la lame sans achever Finn. Et puis, si ça empirait, elle devrait demander de l'aide à sa mère. Encore une fois. C'était actuellement la dernière chose qu'elle voulait. Plus elle entendait la voix de sa mère, plus la colère montait. Le sang pulsait fort dans ses veines, tapant contre son cou, remontant avec rage jusque ses tempes, laissant Clarke avec un terrible mal de tête. Elle avait besoin d'air frais. Ou elle s'en prendrait à quelqu'un. Elle ne pourrait se retenir. Elle le sentait. Elle devenait folle.
Déjà que la situation sur Terre n'était pas facile, elle n'avait pas besoin que son passé revienne la hanter. Mais l'image de son père aspiré par le vide dansait dans son esprit, sentiment d'horreur renforcé par la voix de sa mère qui la narguait depuis l'Arche. Elle se sentait d'autant plus mal qu'elle ressentait le besoin de demander pitié pour que ce cauchemar s'arrête. Mais jamais elle ne demanderait pitié à l'hypocrite qui lui servait de génitrice. Aucune torture ne suffirait à la faire supplier.

Elle n'avait pas envie d'attendre. Abigail Griffin ne méritait pas une seule conversation privée avec sa fille. Pas après lui avoir caché la vérité pendant un an. Jake Griffin était mort par sa faute. Et comme si cela ne suffisait pas, il avait en plus fallu qu'elle mente à sa fille. Clarke ne lui pardonnerait jamais. Jamais. Il y aura toujours une zone noircie par ce mensonge. Il y aura toujours un morceau limé de la confiance qui les liait. Le temps pouvait guérir bien des choses, mais cela était incurable et ni les jours ni les années ne parviendraient à arranger cela. Clarke ne savait pas comment elle réagirait le jour où, à condition qu'ils y parviennent, les gens de l'Arche descendraient sur Terre avec sa mère au premier rang. Clarke l'aimait sûrement encore, Abigail était sa mère, cela n'avait pas changé, mais l'image de cette femme avait été entachée, et Clarke devrait s'y habituer. Aussi douloureux que cela fût. Ne manquait plus qu'il y ait un autre homme pour laisser à Clarke l'idée que sa mère n'avait pas eu besoin de beaucoup d'hésitation pour condamner son père. Plus douloureux encore. Plus difficile à surmonter.
Dans le pire des cas, les conditions difficiles de survie sur Terre garderont l'esprit de Clarke occupé et, un jour, elle ne parviendra plus à penser à cette trahison. Du moins, elle l'espérait.

- Qu'est-ce que tu me veux ? cracha-t-elle sans cacher son mépris. Au fond, si elle mourait ici, si elle ne survivait pas aux prochaines semaines, Clarke poussera son dernier soupir avec la satisfaction de faire souffrir sa mère autant que celle-ci la blessait elle. Une consolation dans la mort. Une excuse pour ne pas paniquer lors de son tout dernier moment de vie.

Jamais auparavant n'avait-elle pensé se sentir aussi mal. Qu'était donc le pire sentiment ? Celui qu'elle avait ressenti en voyant son père disparaître dans le vide ? Celui qu'elle avait ressenti en apprenant que la personne à qui elle s'était accrochée suite à cette mort en était l'un des instigateurs ? Ce qu'elle ressentait maintenant face à l'hypocrisie de cette même personne. Comment sa mère pouvait-elle parler ainsi de son père ? Comme si elle honorait sa mémoire. Mais elle l'avait trahie. Devant la table de fortune sur laquelle était posée la radio, Clarke baissa la tête, les mâchoires crispées, les yeux lui donnant la sensation de s'enfoncer dans leurs orbites. Frappée par le dégoût, elle posa ses mains sur la table, sentant le meuble s'affaisser légèrement sous son poids. Sa mère n'avait plus le droit d'être fière d'elle. Clarke n'était plus une enfant. Plus depuis qu'elle avait été éjectée de l'Arche. Oui, voilà, c'était ça. On s'était débarrassé d'elle. Cela avait commencé dès son emprisonnement solitaire. Dès la mort de son père.
- Ferme-là, cracha-t-elle, soulagée par l'unique fait que sa mère ne pouvait voir les larmes qui se formaient dans ses yeux. Elle avait tant retenu cette rage, cette haine à l'égard de sa mère qui n'était que plus douloureuse depuis la mort de Wells qu'elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle devait dire ce qu'elle avait sur le cœur. Elle n'y gagnerait rien. Sa mère pourrait s'en retrouver blessée que cela ne comblerait pas le trou qui creusait son cœur lancinant.

Tout ce qu'elle voulait dire se mélangeait dans son esprit. Un tourbillon d'insultes, de cris pathétiques, de hurlements de douleur et d'interrogations s'évanouissant au rythme de ses pensées. Plus qu'elle ne pourrait jamais en dire. Même si elle avait sa mère en face d'elle, elle n'y parviendrait pas. C'était se torturer pour un passé qu'elle ne pouvait pas changer. Mais, plus que partager sa douleur, elle voulait surtout faire mal et laisser des remords sur la conscience de sa génitrice. Elle doutait. Pouvait-elle encore la considérer comme sa mère ? Quels autres secrets cette femme lui cachait-elle encore ? La confiance ne se réinstallerait jamais entre elles. Le lien indestructible qu'elles partagaient était entaillé. Seule la survie obligerait Clarke à conserver l'esprit de groupe. Ils avaient besoin de tout le monde. Quand l'Arche descendra, tous auront besoin du médecin Abigail Griffin. Alors Clarke devra trouver un moyen de maîtriser sa rancoeur. Mais pour l'instant, l'Arche était encore là-haut. Le conseil ne maîtrisait rien de ce qui se passait en-bas.
- Ne parle plus jamais de lui, souffla-t-elle avec une fermeté que sa gorge serrée l'empêcha d'exprimer. Elle passa une main sur sa joue gauche, essuyant la larme qui commençait à y descendre avec plus de vivacité qu'elle-même n'en avait eu ces derniers jours. Ne parle plus jamais de lui, reprit-elle avec hargne. Tu ne l'as jamais aimé.
Que cela fût vrai ou non, Clarke ne pouvait considérer un reste d'amour entre son père et sa mère. On ne tue pas celui qu'on aime. Pas quand on peut le sauver. Mais Abigail Griffin s'en fichait. De lui, et de Clarke. La colère aveuglait la jeune femme et, d'une certaine façon, assombrissait son esprit.
- Ne me demande plus, je ne te répondrai pas.
Quelqu'un d'autre servira de messager si l'état de Finn ne s'arrangeait pas. Cette conversation était déjà de trop pour Clarke. Elle ôta ses mains crispées de la table pour éviter de la faire s'effondrer, préservant la radio d'une chute. Elle déglutit, prête à ne rien laisser paraître de ses larmes dans sa voix.
- Considère-moi morte. C'est bien ce que vous vouliez, non, au conseil ? Le père, la fille... Elle fit une courte pause, le besoin de quitter cet endroit se faisant terriblement ressentir du creux de son ventre jusque dans sa tête. Amusez-vous bien là-haut, avec vos doses d'oxygène supplémentaires.
Elle n'attendit pas plus longtemps. Elle coupa la radio. Elle n'attendait pas de réponse, ni aucune réaction. Elle avait juste besoin de sortir, retrouver ses esprits, faire un bilan sur la situation du camp et sa propre situation morale. Loin de la voix belliqueuse de sa mère.