Lluvia Rosewood

« Princesse, réveille-toi. »
Je ronchonnai, me tortillant dans mon lit, me couvrant les yeux pourtant fermés afin de me protéger de la lumière agressive du néon de ma chambre. Je savais qu'il fallait que je me lève, mais c'était pas facile de se motiver à aller à l'école alors qu'on rêvait d'aventures. Je soupirai, sentant toujours une présence bien connue sur le bord de mon matelas qui attendait patiemment que je me lève. Je m'assis, ouvris mes petits yeux encore fatigués et les cheveux décoiffés, je demandai à Papa qui me regardait d'un air insistant. « On peut pas leur dire que je suis malade aujourd'hui ? » « Voyons ma chérie, tu sais très bien que ce n'est pas comme cela que ça fonctionne ici. » Dans un énième soupire, je me levai et remplaçai mon pyjama tout réchauffé par des vêtements d'école tout froid de la nuit. Un frisson me parcourut.

Avec ma Maman maîtresse, il était clair que je ne pouvais me permettre de louper l'école pour un faux motif. D'autant plus que Papa était un garde et il devait se charger que chaque personne était bien à sa place sur l'Arche. Je n'avais pas le choix que de me plier aux règles de mes parents et du système tout entier. Le destin d'aventurier, ce n'était pas sur l'Arche que j'allais pouvoir me le permettre. Je le savais, Papa me l'avait souvent expliqué et comme il voyait que je ne comprenais pas tout, il me disait la terrible phrase "tu verras quand tu seras grande", qui laissait voler entre plus de mystères.
Mais je n'avais réellement pas de quoi me plaindre. Je ne m'en rendais pas vraiment compte, mais Papa et Maman me le disaient. Je n'avais jamais manqué de rien, ni de nourriture, d'eau, de soin, nous étions une petite famille chanceuse. Enfin, toutes les familles sont petites sur l'Arche, et toutes n'ont que le strict nécessaire, personne n'a plus que les autres, ça je le savais. On nous apprenait tout ça à l'école, on nous expliquait la vie et les règles mais on nous enseignait aussi l'histoire d'avant l'Arche, on nous instruisait de culture, on nous disait que l'Arche c'était bien et pour préserver ce bien, il fallait obéir aux règles. On nous a toujours beaucoup menacé à ce sujet et du coup, Papa, Maman et moi on écoutait toutes les règles. On avait trop peur d'être séparés pour oser les transgresser.
Ils n'ont jamais cessé de me couver de tout l'amour qu'ils pouvaient. Des câlins, des bisous, des mots doux, des surnoms mignons et rigolos que j'appréciais beaucoup. Mais malheureusement, Papa et Maman travaillaient beaucoup. Ils ne pouvaient pas toujours se plier à mes horaires d'école et du coup ils avaient dû engager une babysitter qui venait me garder quand ils n'étaient pas là. Je la connais depuis que j'étais bébé et je la considérais désormais comme ma grande soeur. On n'avait pas le droit d'avoir des vraies soeurs sur l'Arche, je trouvais ça tellement dommage... Il y avait bien des règles que je ne comprenais pas. Mais Alice, elle était spéciale. Elle s'autorisait à rêver avec moi, on parlait d'aventures et on s'inventait des histoires farfelues dans les milles et une cabane que l'on construisait dans ma chambre. Je l'aimais vraiment beaucoup, et elle aussi. On s'occupait l'une de l'autre, bien qu'elle devait plus s'occuper de moi que l'inverse. Elle savait aussi que je ne comprenais pas toujours tout à ses histoires, mais je buvais ses paroles. Elle était pour moi un exemple et quand je serai grande, je voudrai lui ressembler.
Mais le problème, c'était qu'Alice, elle, elle s'en fichait des règles. Elle était courageuse et têtue et ça me faisait peur. Et du jour au lendemain, Alice n'était plus venue me chercher à l'école... Je l'avais attendue désespérément et comme j'étais assez grande pour retrouver le chemin, j'étais rentrée toute seule. C'est le soir-même que Papa était rentré, la mine grave, je connaissais cette tête. Il la prenait quand il allait me gronder parce que j'avais fait une bêtise. Mais là, ce n'était pas moi qui avait fait une bêtise... « Lulu, tu es rentrée seule à la maison aujourd'hui, je t'en félicite. Mais il va falloir prendre cette habitude désormais, car Alice ne reviendra plus. » Il lança un drôle de regard à Maman. Elle sembla comprendre, mais moi comme d'habitude, je ne saisissais pas toutes ces discussions des grandes personnes. « Tu sais... Elle a toujours aimé brisé les règles. Et maintenant les gardes ont dû l'arrêter, parce qu'elle est allée trop loin. » Je ne reverrai plus jamais Alice. Elle avait disparu de la circulation. Elle avait brisé ces terribles règles.

Je n'avais jamais été aussi triste. Même Papa et Maman ne savaient plus quoi faire pour me remonter le moral. Alice me manquait terriblement, elle avait toujours été là depuis ma naissance, je m'étais habituée à sa présence, et j'avais compris qu'elle ne reviendrait jamais. J'avais perdu ma soeur. Moi qui était d'habitude si enjouée, souriante, mon visage s'était terni pendant plusieurs semaines. Papa et Maman s'étaient arrangés avec le travail pour rester plus vers moi pendant ces terribles jours. Ils me racontaient des histoires, et c'est un jour en lisant Cendrillon que Maman trouva les mots juste qui parvinrent à me décrocher un petit sourire. « Ma chérie, tu sais, si Cendrillon s'était retournée pour chercher sa chaussure, elle ne serait jamais devenue une princesse. Je sais à quel point tu es triste, mais il faut que tu avances mon petit ange. » Et depuis ce jour, quand j'étais triste, je pensais à Cendrillon et a sa chaussure.

Les mois passèrent et je comprenais que la vie sur l'Arche n'allait plus comme au début. Papa et Maman en discutaient seulement quand j'étais au lit, alors je n'arrivais pas à saisir toutes leurs discussions. Mais Papa travaillait à nouveau beaucoup, il disait qu'il était obligé car c'était les règles. Alors c'était Maman qui s'occupait beaucoup de moi. Car ils avaient fait le choix de ne pas prendre une nouvelle babysitter, et moi je préférais aussi rester avec Maman. J'avais peur d'oublier Alice si une nouvelle arrivait... Car je pensais toujours beaucoup à elle. Je me souvenais de toutes nos histoires et de nos aventures. Elle me faisait rêver.
Et un jour, tout est parti en cacahuète, j'ose pas dire le gros mot qui conviendrait mieux.
C'était pendant le jour de l'Unité, qu'on célèbre chaque année. J'étais avec Maman car Papa était engagé comme garde à ce moment-là. Nous étions à la cérémonie quand une bombe avait explosé. Nous avons eu de la chance tous les trois, car aucun de nous n'avait été blessé. Ce n'était pas le cas de tout le monde, et j'avais vu bien des images qu'une petite fille de 8 ans n'était pas censée voir... On était rentré en catastrophe avec Maman à la maison et là c'était horrible. Papa était rentré. Il l'a pris pour discuter dehors pour ne pas que j'entende. Quand la porte s'est réouverte, je les regardais avec des gros yeux de peur et d'incompréhension. Maman pleurait à chaudes larmes et je voyais que Papa n'était pas bien. Maman a couru dans ma chambre, je voulais poser des questions mais j'étais encore tellement en état de choc que je ne savais pas quoi dire, je me contentais de les regarder avec mes yeux de merlans frits. Maman est sortie de ma chambre avec un petit sac rempli de mes affaires. Je fronçai les sourcils et mes yeux allaient de Maman à Papa en attendant une explication. Voyant que Maman était dévastée, Papa décida de m'expliquer avec sa voix que j'appréciais tant, mais je sentais que ça sonnait faux. « Lluvia, il y a plusieurs problèmes sur l'Arche, et nous devons partir. Nous allons prendre une navette dans quelques heures pour aller sur Terre. Tu vas pouvoir devenir aventurière ma chérie. » J'étais presque contente. Mais il manquait quelque chose. « Maman tu viens avec nous ? » Elle fut alors prise d'un nouveau sanglot. Jamais je n'avais vu Maman ainsi. Elle était incapable de me répondre alors c'est Papa qui continua. « Maman ne peut pas venir avec nous. Elle n'a pas le bon travail pour venir tout de suite. Mais ils nous ont promis qu'elle allait nous rejoindre. » Je compris plus tard que c'était parce qu'ils avaient besoin avant tout de garde et de médecin pour descendre sur Terre. Mais je trouvais cela totalement débile et j'avais décidé de ne pas me laisser faire ! Maman viendrait avec nous, avec Papa et moi, le trio qu'on a toujours été ! Mais Papa s'efforça de m'expliquer que ce n'était pas possible. Nous profitions ensemble d'un ultime câlin et alors que j'étais collée à Maman dans l'incapacité de la lâcher, Papa prit mon sac et m'arracha à elle. J'hurlai, je pleurai, mais je compris bien vite qu'il était inutile de se battre. C'était les règles de l'Arche. Ces terribles règles. J'avais toujours suivi mes règles. Papa et Maman aussi. Mais on se retrouvait quand même séparé. On se retrouvait blessé au plus profond de nos êtres, chacun de nous. Car même sur les paroles de Papa, j'avais peur de ne plus jamais revoir Maman.

En chemin pour la navette, Papa m'expliqua malgré la tristesse qui le rongeait que je n'étais pas la bienvenue à bord. Il me dit qu'ils ne voulaient pas prendre les enfants, mais comme il savait que je n'étais plus vraiment en sécurité sur l'Arche, il avait établi un plan pour me prendre avec lui. Je lui demandai pourquoi Maman n'avait pas pu venir, car si il me cachait, alors pourquoi pas elle ? Il me dit que c'était compliqué. Que c'était plus facile de cacher une petite fille de 8 ans plutôt qu'une Maman.
Papa profita de ses badges et ses accès spéciaux pour se faufiler dans la navette. Il m'avait déjà préparé tout un petit coin, derrière une plaque d'acier dévissée. Il avait déjà installé quelques coussins, car il m'expliqua que le voyage allait être agité. Il déposa le sac avec mes affaires à côté de moi, en sortit Pilou-Pilou, mon doudou, et déposa un baiser sur mon front. Je serrai ma peluche contre moi. C'était sombre à l'intérieur de ce casier. Je devais me faire toute petite, impossible de me tenir debout. Il me montra qu'il avait même prévu une ceinture de fortune pour me maintenir au sol en cas de turbulences pour que je ne me fasse pas cogner dans tous les coins. Notre discussion fut abrégée par des pas qui résonnaient au bout du couloir. Mon regard était scintillant de peur, Papa l'avait remarqué. Et je voyais qu'il ne voulait pas me laisser toute seule. Mais il n'avait pas le choix. Pour moi, mon Papa brisait ces règles que l'on avait toujours respectées. C'était la première fois qu'il les transgressait. « Nous allons bientôt décoller mon coeur. Tout ira bien. Ne bouge pas tant que je ne suis pas venu te chercher. Sois silencieuse. Je t'aime. » Il m'embrassa encore une fois et coulissa la plaque d'acier qui faisait guise de porte à ma minuscule cabine. Le nez encore coulant, les larmes à peine séchées sur mes joues, je serrai mon ours contre moi pour me donner du courage. La seule lumière que j'avais, c'était un mince faisceau qui me permettait également de jeter un oeil à l'extérieur. J'avais très peur. Alors tout de suite, je me suis attachée, bien que j'ai eu du mal à cause des ténèbres et de mes mains tremblantes. Je voulais Maman près de moi. Ou Papa. Ou Alice. Je ne m'étais jamais sentie aussi seule... Et ma peur s'accentua au moment où la navette s'ébranla. Alors j'étreignis Pilou-Pilou encore plus fort, et je fermai fort les yeux, me retenant de pleurer. J'étais une aventurière. Et les aventurières, ça ne pleure pas !