Lost w/Lincoln

Je chevauchais les sentiers des terres Trikru depuis plusieurs heures maintenant. Le voyage depuis mes montagnes Boudalan fut bien mouvementé. En partant du village où je me rendais régulièrement avec Zaltana, je m'étais trouvé un cheval que j'avais nommé Hateya. Je n'avais pas d'autre choix que d'en posséder un. Ma jambe droite me faisait défaut, elle m'empêchait d'avoir une démarche normale malgré ma robe longue et même si je parvenais à marcher, je me fatiguais beaucoup. Et puis posséder un cheval, c'était également me permettre de fuir en cas d'attaque animale ou même humaine. Je n'avais pas la capacité de courir, je n'avais jamais pu, ma jambe m'en empêchait. Mais ça, personne ne le savait. Ce secret, je le gardais entre Zaltana, Niylah et moi. Nous étions les trois seules à le savoir. Quoi que, mes parents devaient le savoir aussi. Sans cela, ils ne m'auraient pas abandonné. J'avais grandi sans eux, j'avais grandi et il manquait une brique à la base de ma tour. Pour l'instant, je ne ressentais pas mon instabilité. Mais je savais que ça allait me faire défaut un jour ou l'autre. Mes parents biologiques n'étaient peut-être même pas du Clan des Rocheuses. Mais je m'étais attribuée cette tribu comme mienne, même si j'étais une paria, que j'aurais dû être reniée, et me faire appeler Shana, uniquement. Hors, j'étais Shana kom Boudalankru et jamais ne m'avait contredit à ce sujet. Parce que personne ne savait, tout simplement.
Pour plus d'aisance, je montais en amazone sur ma jument à la robe isabelle. Heureusement pour moi, depuis ma plus tendre enfance, après m'avoir longtemps portée sur son dos, Zaltana m'a toujours mis sur un âne. Le caractère des deux animaux ainsi que la taille était totalement différent, mais la manière de les dresser et de les manier était très similaire. J'avais demandé à un ami du village de me vendre une jument calme, bien que ce trait de caractère était tout relatif pour les chevaux. Mais je ne pouvais pas me permettre de prendre un animal de caractère fougueux et têtu car je n'aurais jamais su le tenir. Je n'en avais pas l'expérience, ni la force, alors que j'arrivais tout juste à monter sur l'un d'entre eux.

Mon but était de me rendre jusqu'à chez Niylah, l'amie chez qui j'allais loger quelques temps avant de trouver un endroit où m'installer ou simplement de repartir en vadrouille. Seulement, je n'avais aucune connaissance de ces bois. Ils ne m'étaient en rien familier et c'est quand je passai pour la troisième fois devant un grand saule au tronc creux que je compris que je tournais en rond. J'arrêtai Hateya. Je sentais la présence d'Akiyan autour de moi, je n'avais qu'à le siffler si je voulais qu'il me revienne. Je l'avais dressé en lui laissant toujours une part de liberté. C'était un loup après tout, il était loin d'être un chien. Mais lorsque je l'appelais et lui donnais des ordres, il m'obéissait au doigt et à l'oeil. J'étais bien heureuse quand il me ramenait des petites proies car la chasse pour moi, c'était hors des mes capacités physiques.
Soupirant, je commençais à perdre patience. Je n'avais aucune idée d'où je pouvais bien être et où je devrais aller. Niylah m'avait expliqué que c'était bien simple de se rendre chez elle depuis Tondc, mais encore fallait-il rejoindre ce village. Bien que je n'en avais pas particulièrement envie, ayant pour soucis de me faire repérer...
C'est alors que j'aperçus une silhouette entre les arbres. Je fis halte, l'observant quelques instants. Que pouvais-je risque en lui demandant simplement ma route ? Rien à priori, même si je ne connaissais pas cet homme à la carrure forte. Il avait la peau foncée, ce n'était pas du bronzage, simplement sa couleur naturelle. Je savais que Trikru avait tendance à avoir la peau plus brune que nous, les Boudalan. Je me décidai finalement à l'interpeller depuis le sentier où je me tenais avec Hateya.
-Heya ! Moba, weron ste Tondc ?*
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*Bonjour ! Excusez-moi, où est Tondc ?

Ce n'était pas la première fois que je me perdais au milieu des bois depuis que j'avais quitté les montagnes de ma terre d'enfance. Mais là, si près du but, ça avait tendance à m'agacer. Le voyage se rallongeait de plus en plus au fur et à mesure que je me trompais de route. Dans ces moments, je plaignais les voyageurs qui faisaient tout à pied sur de longues distances. Quoi que, je n'avais pas à les plaindre. Eux au moins, ils avaient leurs deux jambes fonctionnelles et pouvaient courir, sauter. Moi, c'était loin d'être ça. Je n'osais pas imaginer ma vie sans Hateya et sans Akiyan. Je n'avais pas ma jument depuis très longtemps et on apprenait encore à se connaître. Mais comme je l'avais demandé à l'éleveur, elle était calme et c'était tout ce que je demandais. Bien que parfois elle avait quelques coups de folie et refusait de m'écouter. Avec elle, je pouvais parcourir de longue distance sans m'épuiser. Car si je ne l'avais pas, j'aurais dû rester dans les hauteurs Boudalan encore quelques années, si ce n'était pas le restant de mes jours. Quant à Akiyan, il assurait ma protection contre les bêtes sauvages ou les humains de mauvaises intentions. Je n'avais pas fait de mauvaise rencontre notable durant ma route heureusement. Il m'amenait aussi parfois du gibier, nourriture que je ne négligeais jamais. Je ne me voyais pas vivre sans eux, ils m'étaient rapidement devenus indispensables.
L'homme s'approcha de moi, je pus ainsi mieux l'observer. Il avait tout d'un guerrier, Trikru probablement. Ses larges épaules et les muscles dessinés sur ses bras en témoignaient. Avec son accent du peuples des arbres, il me demanda pour quelle raison je cherchais Tondc. Je n'allais clairement pas lui raconter toute ma vie. Je ne le connaissais pas, je n'avais aucune idée de qui il était ni de ses intentions. Le fait qu'il s'approche autant de moi ne me mettait d'ailleurs pas tant en confiance. J'espérais qu'il n'allait pas douter de ma drôle de manière de monter à cheval. C'était rare de voir les gens monter de cette manière. Son intonation n'était ni méchante ni gentille, mais je préférais me méfier. Akiyan n'était pas près de moi à l'instant, je savais qu'il préférait rester cacher, préférant l'effet de surprise. Mais si ce Trikru venait à m'attaquer, je serais toujours plus rapide moi à cheval que lui à pied.
-Je ne suis pas d'ici, je me suis égarée. Je dois y retrouver une amie, expliquai-je simplement
J'espérais qu'il n'allait pas me poser plus de question, m'indiquer la bonne direction pour que je puisse ensuite m'y rendre. Je préférais rester sur la défensive, serrant les reines d'Hateya, prête à partir au triple galop s'il le fallait.
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Je ne perdais pas l'homme des yeux. J'essayais de paraître calme et détendue mais en réalité, j'étais terriblement rigide. Je n'avais pas l'habitude des hommes. Je devais l'avouer. C'était mon défaut: je ne les connaissais pas et de ce fait, ils me paraissaient tous être des personnes inconnues, que je ne saurais défier ou offrir ma confiance. J'avais grandi au beau milieu des montagnes avec pour seule compagnie Zaltana désormais bien âgée et quelques dizaines de moutons. Les véritables hommes que j'avais rencontré devaient se compter sur les doigts d'une main. Depuis le début de mon voyage, j'en avais rencontré plusieurs évidemment. Je m'apercevais d'ailleurs qu'ils étaient, pour la plupart, bien bâtis, forts et tatoués. Certains donnaient froid dans le dos. Certains diront que je suis naïve, je leur répondrais alors que oui, probablement. Mais les gens ne réagissaient pas non plus très positivement lorsqu'ils rencontraient Akiyan pour la première fois. Moi, j'étais plus à l'aise avec les animaux que les hommes. Chacun son domaine...
Le jeune homme me proposa alors de m'emmener lui-même à Tondc. Le seul problème était que je n'allais jamais entrer réellement dans le village. J'allais simplement le contourner afin de retrouver plus facilement le repère de Niylah. Si j'y entrais, j'étais foutue. Tant de monde dans un si petit endroit... Les gens s'apercevraient bien trop vite de mon défaut et me feraient fuir à coup de fourche, torches, ou pire. Je n'avais pas fait autant de route pour finir embrochée. Même si je comprenais totalement les dangers que je risquais en m'approchant si près de Tondc...
-Alors je te suis.
Serrant les rennes d'Hateya, je lui donnai un léger coup de talon dans le flan, l'invitant à avancer au pas. Je marchais à côté du Trikru sans grande discussion. Je ne préférais pas tant parler, j'avais peur de révéler des informations trop importantes à mon sujet en m'investissant dans une discussion. J'espérais simplement que la route ne serait pas trop longue, surtout que le pauvre homme était à pied. Je ne pouvais pourtant pas prendre de risque à l'inviter à grimper sur Hateya. Je ne le connaissais pas et pour être honnête, la seule confiance que je lui offrais était celle de m'indiquer la bonne route, en espérant qu'ils ne m'emmenait pas dans une embuscade ou que sais-je... Car je ne ferais jamais le poids. Mon seul pouvoir serait la fuite à dos de cheval.
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Finalement, même si beaucoup de doutes reposaient sur lui, j'étais bien heureuse de m'être trouvée un guide. Je ne reposais cependant pas trop de confiance et d'espoir en lui, car ma vie de paria m'avait appris à ne jamais faire confiance à un inconnu, mais au moins je ne perdrai plus trop de temps à m'égarer dans les bois aux alentours de Tondc. Une partie de moi, celle qui pensait que ce Trikru était un homme bon, était soulagée et se détendait enfin un peu. Hors, la partie droite, celle qui fait de moi une déformée, restait tendue et aux aguets du moindre danger, prête à prendre la fuite.
D'ailleurs, la route était bien silencieuse. Aucun de nous n'avait grand chose à raconter. Je me demandais s'il doutait autant de moi que je pouvais douter sur lui. Mais le Trikru avait l'avantage du terrain, il savait pertinemment où il m'emmenait et moi je ne pouvais que le suivre bêtement. Il pouvait m'emmener dans un traquenard que je ne m'en apercevrais même pas... Pourtant, après plusieurs minutes de marche sans prononcer d'autres mots, il finit par se présenter sous le prénom de Lincoln. Je ne pouvais qu'en faire de même. De toute manière, je n'étais pas connue en ces territoires ni en aucun autre d'ailleurs. La seule personne qui me connaissait vraiment, c'était Zaltana, ma mère adoptive. Révéler mon prénom n'en avouait pas beaucoup plus sur ma personnalité.
Regardant Lincoln de haut, depuis mon cheval, je lui répondis simplement:
-Au plaisir Lincoln. Je m'appelle Shana.
Et sur ces mots, le silence s'installa à nouveau. Je n'aimais pas parler aux gens. Encore moins aux inconnus. J'avais toujours peur qu'ils découvrent ma faiblesse et m'en fassent payer le prix. Alors je me taisais, j'en disais le moins possible, je me contentais de me fondre dans la masse... Sauf que c'était la masse elle-même qui me repoussait. Impossible de la fausser de part mon défaut physique qui préoccupait bien des gens alors qu'au fond, j'étais comme eux.
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Lincoln semblait attentif à tout ce qui nous entourait. L'homme devait certainement, voire même très probablement, venir de Trikru. Il connaissait tous les dangers que recelaient ces bois, contrairement à moi, qui y venait bien naïvement... J'avais grandi dans mes montagnes où nos seuls ennemis étaient quelques rares loups en hiver. Je n'avais aucune idée de ce qui pouvait bien se trouver ici bas, dans cette immense forêt. Le Trikru me dit qu'il était enchanté de me connaître et j'hochai la tête en guise de réponse, lui signifiant que moi aussi, j'étais heureuse de l'avoir rencontré. Enfin, heureuse était un bien grand mot. Je n'appréciais pas la solitude, je ne pouvais avoir confiance en personne, ma jambe me faisait courir un immense danger chaque jour, à chaque regard croisé. Je ne pouvais pas me permettre de faire ami-ami avec le premier venu... Durant mon voyage jusqu'ici, bon nombre de voyageurs m'avaient salué sans que je leur retourne un mot. Ils ne devaient rien savoir sur moi. Ni d'où je venais, ni où j'allais. C'était bien trop dangereux.
Mais je compris rapidement que Lincoln n'était pas un très grand parleur lui aussi et ça m'arrangeait bien. J'avais accepté de lui révéler mon prénom parce qu'il me rendait service mais ça s'arrêterait là. Il n'avait pas besoin d'en savoir plus et honnêtement, je ne voulais rien lui demander en plus non plus.

Mon guide sembla distrait, le temps d'un instant, mais la seconde de trop. Sans que j'en comprenne la raison, il se retrouva projeté dans les airs, attaché par les pieds, la tête en bas. Hateya, face à ces gestes brusques et inattendus, manquant de se cabrer de me faire chuter. Je parvins néanmoins à la contrôler, évitant toute catastrophe. Je fixais Lincoln, ébahie. C'était un piège. Qui pouvait l'avoir tendu ? Cela pouvait-il signifier qu'il y avait des ennemis dans les alentours ? Tout à coup, j'étais inquiète. Alors que ma jument reprenait son calme, mon rythme cardiaque augmentait. Puis Lincoln me demanda de l'aider. J'hochai la tête, peu sûr de moi, car je n'avais aucune idée comment faire cela. Je ne pourrais jamais grimper à l'arbre afin d'atteindre la branche et couper la corde. Lincoln était trop haut. Son visage était à la même hauteur que moi, alors que j'étais à cheval.
Je pris plusieurs instants, tentant de contrôler ma peur qui commençait à m'envahir. Puis je suivis la corde des yeux, et constatai qu'elle était attachée au sol quelques mètres plus loin. Jetant un regard circulaire autour de moi, je vérifiai qu'il n'y avait aucun danger aux alentours puis descendis vainement d'Hateya, avec toute l'élégance que je n'avais pas à cause de mon genou. J'espérais qu'il n'avait rien remarqué. Sans un mot, je fis quelques pas jusqu'au pieu qui maintenait la corde au sol. Je pris dans mon poing une petite dague attachée à ma ceinture. Je commençai à scier la corde. Les liens lâchèrent, chacun leur tour, et lorsqu'il n'en restait plus que deux, je prévins Lincoln:
-Attention ! Une fraction de seconde plus tard, la corde craqua entièrement et Lincoln s'écrasa au sol la tête la première, faisant s'élever un lit de feuilles mortes. Je rangeai mon petit couteau dans son fourreau. Je m'approchai du Trikru, lui tendant une main afin de l'aider à se relever. Plus de peur que de mal, lui dis-je un mince sourire au coin des lèvres.

Mais alors que je pensais qu'on allait pouvoir reprendre notre chemin en toute tranquillité, des cris se firent entendre. Non, pas des cris. Des voix. Des hommes et femmes qui parlaient forts. Ils semblaient être beaucoup. Scrutant les bois, je tentai de découvrir d'où ils pouvaient provenir. Mon inquiétude revenant à grands pas, je commençai à penser qu'il s'agissait de ceux qui avaient tendu le piège... C'est quoi ça ? murmurai-je, de peur d'être entendue moi aussi.
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Par réflexe, lentement, pas à pas, je me reculais vers Hateya qui elle aussi avait entendu les voix des intrus. Elle avait la tête tournée dans leur direction et les oreilles dressées. Elle scrutait les bois, comme moi. Je me demandais où était Akiyan. J'étais inquiète pour lui. Si d'autres pièges étaient posés dans les environs, il serait incapable de s'en tirer seul. J'aurais voulu l'appeler, mais j'aurais trahi notre position vers les inconnus. Alors, le corps tremblant de peur je jetai un regard paniqué vers Lincoln. Skaikru. Les hommes du ciel. C'était leur arrivée et les rumeurs à leur sujet qui m'avaient fait quitter mes montagnes. Zaltana n'avait pris position dans mes décisions. Elle m'avait élevée et me connaissait. J'étais têtue. Mais elle m'avait enseigné bien des choses, comme la méfiance avant tout. Ce qui était un atout principal en tant que paria. Elle ne m'avait en aucun cas poussé à faire demi-tour, au contraire... Selon elle, les voyages forgent la jeunesse. Même quand on est rejeté de la société.
Et là, alors que j'étais à deux doigts de les rencontrer, j'étais terrifiée. Mais le Trikru semblait les avoir déjà rencontré pour en déduire aussi aisément qu'il s'agissait d'eux. Je voyais qu'il regardait dans leur direction lui aussi, il s'arrêta quelques secondes, comme s'il attendait quelque chose. Si bien que je me demandai s'il n'avait pas dans l'optique de fuir.
Mais bientôt, Lincoln me tend la bride de ma jument et m'incite à grimper sur elle pour prendre mes jambes à mon cou. Je n'attendis pas une seconde et saisis la corde entre mes doigts, bondissant d'une technique assurée sur la selle de la palomino. J'étais prête à la talonner pour faire partir ma jument au galop, mais je ne pouvais pas laisser Lincoln ici... Du haut du cheval, je lui tendis ma main, l'incitant à grimper en lui suggérant: Allez, monte ! Tu iras bien plus vite à cheval ! Il m'avait aidé. Malgré ma méfiance, je devais en faire tout autant.
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Lincoln saisit ma main. Un sentiment de soulagement s'empara de moi. Je n'aurais pas eu la conscience tranquille de le laisser aux mains de l'ennemi. Il m'avait aidée après tout... Je devais lui rendre la pareille. Il n'avait pas l'air bien méchant, au contraire. Sa carrure lui donnait un air impressionnant et froid mais en réalité, ça n'avait pas l'air d'être le cas. Je devais apprendre à plus me méfier, apprendre à faire confiance petit à petit... Mais dans certaines situations, je n'avais pas le choix.
Alors le Trikru grimpa aisément sur la croupe d'Hateya et je la talonnai pour qu'elle s'enfuit au galop. Cependant, un doute me serrait la gorge. Akiyan. Où était-il ? Etait-il en sûreté ? Sous les foulées de ma monture, je jetais des regards inquiets dans les fourrés. Mais elle allait trop vite. Le paysage défilait sous mes yeux sans que je ne puisse m'arrêter sur le moindre détail.

Je finis par tirer sur les rennes de la palomino, la faisant ainsi ralentir. A bout de souffle sous la fuite effrénée et le poids de deux êtres humains, elle fut ravie d'être mise au pas. De grosses bouffées d'air émanaient de ses naseaux tandis que je continuais de scruter les bois, à la recherche de mon loup. J'espérais qu'il ne lui était rien arrivé... Je ne me le pardonnerais jamais. Akiyan était tout ce que j'avais, mon seul ami, mon seul allié, le seul être vivant qui ne me reniait pas. Lincoln m'informa du temps qu'il restait avant de parvenir à Tondc. Je pouvais l'y emmener, mais je ne pourrais y entrer. Une fois arrivée là-bas, je saurais retrouver mon chemin. Alors, nous poursuivîmes notre route.
Jusqu'à ce qu'un hurlement brise le silence sylvestre. J'arrêtai ma jument, qui se dressa aux aguets, reconnaissant l'odeur et le chant de mon loup. Moi aussi, je le reconnus. Je saurais différencier son hurlement d'entre mille. Lincoln, rapide comme le guerrier qu'il était, bondit et dégaina son épée. Akiyan sortit d'un buisson et le Trikru se dressait entre le canin et moi. Mon loup ne s'attendait pas à un tel accueil et il eut un geste de recul. Il connaissait les épées, il savait le mal qu'elles pouvaient provoquer. Se sentant en danger, il retroussa ses babines, coucha ses oreilles et se mit à grogner en position d'attaque. Mon sang ne fit qu'un tour. Je me projetai au sol, m'écrasant sous mes kilos de maladresse avant de me redresser vainement et de me précipiter d'une démarche bancale mais paniquée entre Akiyan et Lincoln. Non ! Ne lui fais rien je t'en prie ! le défendis-je. Mon regard se planta dans celui du guerrier, l'intimant de ne pas toucher à un poil de ce loup. Une fois certaine qu'il eut bien compris, je me retournai et m'approchai d'Akiyan qui ne semblait toujours pas en confiance. Je le caressai doucement, lui murmurant des paroles réconfortantes, lui signifiant qu'il n'avait rien à craindre. Alors il se détendit et se laissa aller sous les caresses. Je l'observai alors sous toutes les coutures. Mais il semblait indemne. Aucun signe de combat ou d'attaque. Un souffle de soulagement s'échappa d'entre mes lèvres. Il s'appelle Akiyan, c'est mon loup. Je l'ai recueilli quand il n'avait encore que quelques semaines. Tu ne risques rien avec lui.
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J'étais si heureuse d'avoir retrouvé Akiyan. Lui aussi d'ailleurs, car il me rendait la pareille. Comme un bon chien bien dressé, il me léchait avidement le visage. Je laissai échapper un petit rire tandis que j'enfouissais mes doigts dans sa douce fourrure grisée, appréciant sa chaleur et lui mes caresses. Les yeux de ce loup m'avaient toujours impressionnés. Ils étaient d'un bleu profond et à la fois glacial, comme les montagnes d'hiver d'où nous étions originaires. C'était cela qui m'avait inspirée pour son prénom. Car dès le départ, j'avais été hypnotisée par ce regard emprunt de liberté, de ciel infini et plus que tout, d'océan. Akiyan signifiait océan en une langue aujourd'hui disparue, parlée par un ancien peuple américain qui vivait jadis en nos terres. Pour Hateya, c'était la même chose. Sa robe palomino me faisait penser aux étendues de sables dans le désert, ou alors simplement au sable que l'on pouvait trouver sur les plages. Hateya voulait dire traces de pas dans le sable, dans cette même langue. Mes animaux inspiraient en moi l'idée de voyage et de découvertes, de ces endroits que j'espérais fouler de mes propres pieds. Je n'avais jamais vu l'océan. Ni le désert. Ni les plages. Je ne connaissais que les montagnes de haute altitude et les forêts. Elles offraient elle aussi leurs lots de surprises, mais j'avais besoin de plus. J'avais besoin de découvrir ce monde dont j'avais été préservée bien trop longtemps...

Je suis soulagée quand j'entends la lame de Lincoln se ranger dans son fourreau. Je comprends qu'il n'a plus peur et qu'il est rassuré. En même temps, en cet instant, Akiyan n'avait plus rien d'effrayant. Il avait juste l'air d'un gros chien affectueux. Alors, le guerrier m'expliqua qu'il respectait les loups et qu'il ne l'aurait jamais attaqué si ce n'était pour se défendre. Son sourire me détendit et pour la première fois depuis que je l'avais rencontré, je me sentais plus sereine. Je lui faisais confiance et ce juste avec cette simple phrase, qui me prouvait à quel point Lincoln était un homme bon. Car malheureusement, tous ne pensaient pas comme lui...
-Ces animaux me fascinent. Ils sont nombreux dans les montagnes Boudalan. J'ai grandi dans une bergerie et ma mère les détestait parce qu'ils viennent tuer les moutons. La mère d'Akiyan est morte dans l'un de ses pièges non loin de notre maison d'ailleurs... Je ne sais pas si elle avait d'autre louveteau, il fut le seul que j'ai pu secourir, lui racontai-je. Quel ne fut pas mon bonheur de découvrir cette petite boule de poils, et à la fois si triste de voir le cadavre de sa mère ainsi... Aujourd'hui, je n'imaginais plus ma vie sans lui. Et je crois qu'il en allait de même pour lui.

Lincoln avança sa main, puis me demanda s'il pouvait le caresser. Il posa la même question à Akiyan, qui sentit une seconde attention posée sur lui, et dressa ses oreilles en direction du guerrier. Il le regardait avidement, n'attendant qu'une chose: que lui aussi lui offre quelques cajoleries. Bien sûr, l'autorisai-je un sourire aux lèvres. Alors je retirai ma main et me reculai légèrement, laissant de la place au Trikru afin de lui laisser tout le plaisir de profiter du loup. C'était rare de pouvoir en approcher de si près. Alors quand des gens bienveillants comme Lincoln demandaient à le voir de plus près, je ne pouvais pas refuser. Et maintenant, j'avais confiance en lui. Il me semblait sincère. Je savais que j'avais raison de croire en sa gentillesse et sa générosité. Tu as grandi ici ? En terres Trikru ? demandai-je.

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Lincoln me parut enchanté lorsque je lui autorisai à caresser Akiyan. Je sentais instantanément toute la bonté émaner de cet homme et je me demandais comment j'avais pu m'en douter au départ: malgré sa carrure d'un guerrier menaçant, Lincoln avait tout d'un homme affectueux, bon, égal. J'avais presque l'impression que je pourrais lui parler de ma malformation sans qu'il ne me juge et me renie... Néanmoins, je ne le connaissais pas depuis assez longtemps pour parler de sujets aussi secrets et sensibles. En effet, si ce dernier était appris par des tiers personnes aux mauvaises intentions, je ne donnais pas cher de ma peau. J'avais Hateya pour fuir et Akiyan pour me défendre.... Mais pas sûre qu'ils tiennent le coup face à des guerriers belliqueux et sans coeur.

Akiyan semble apprécier les caresses que lui offrait le Trikru. Il en redemandait même d'avantage ! C'était rare de voir mon loup aussi affectueux envers les inconnus. Lui aussi devait sentir que Lincoln était une bonne personne. Inconsciemment, un sourire se dessina sur mon visage. Le monde avait beau sembler sombre, il fallait savoir le percer afin d'y trouver la lumière. Lincoln était l'une de ces lumières.
Après avoir répondu qu'il avait toujours vécu à Trikru, il me retourna la question. Je préférai ne pas trop en dire... Je ne voulais pas me mettre en danger par mégarde. Mais j'allais tout de même lui répondre. Après tout, depuis la création de la Coalition, être un étranger n'était plus un crime. Les voyageurs étaient tolérés et ce même jusqu'aux cimes des montagnes où je vivais. Les frontières entre les clans étaient ouvertes et désormais, il faisait bon vivre au sein des douze clans. Enfin... Pas tous. Mais la plupart.
-J'ai passé toute ma vie à Boudalan. Ma mère est une bergère et je l'aide dans son travail depuis mon plus jeune âge... Mais j'avais besoin de voir autre chose. Alors désormais, je me balade un peu partout.
Le silence s'installa quelques instants, le chant de la forêt prenant place entre nous deux. Je prenais beaucoup de plaisir à écouter les voix des oiseaux, la caresse du vent dans les arbres et les milles et un autres sons que proférait ce lieu de paix et de ressourcement. C'est important de voyager.. Grâce à lui, on grandit et notre vision du monde s'élargit. On devient plus patient, plus tolérant. Je me demandais si Lincoln avait voyagé lui aussi. En tout cas, il en avait tout l'air...
Je jetai un coup d'oeil au ciel et je me rendis compte que la journée était déjà bien avancée. Il fallait absolument que j'atteigne la demeure de Nylah avant la nuit. Je ne comptais pas rester une nuit de plus seule à veiller dans la forêt. Ces instants étaient beaucoup trop dangereux. Nous devrions reprendre la route. Sommes-nous encore loin de Tondc ?
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Heureusement pour moi, Lincoln constata rapidement mon inquiétude et s'empressa de la calmer de son mieux. Il m'explique qu'il ne nous reste plus qu'une trentaine de minutes à cheval avant de parvenir à mon but. Il m'amène même au chemin en me désignant du doigt la direction à prendre. Je réponds à son sourire bienveillant. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans lui. J'étais vraiment douée pour me perdre et je sentais que ce n'était pas la dernière fois que ça allait arriver. Là où j'avais grandi, cela était devenu chose impossible pour moi. Je connaissais si bien les alentours de la bergerie de Zaltana que je n'avais jamais eu à me perdre. J'avais quadrillé le moindre recoin, découvert le moindre brin d'herbe et le moindre caillou. Je connaissais tout par coeur et j'aurais fait la meilleure guide de montagne de tout Boudalan. Or, encore une fois, je devais me cacher. Encore et encore. Je ne pouvais même pas mettre à profit ce pourquoi j'étais douée. Ou on me tuerait.

Je jetai un coup d'oeil à la route et Akiyan était déjà en train de renifler le parcours à faire. Vu le jour déclinant, je n'allais pas tarder. Il fallait absolument que je dois capable de retrouver la maison de Niylah avant la tombée de la nuit. Et comme elle n'habitait qu'à quelques minutes de Tondc, je n'étais certainement plus très loin. Cependant, je ne voulais pas que Lincoln sache où je me rendais précisément. Il était de loin l'homme le plus sympathique et le plus serviable qu'il m'ait été donné de rencontrer, mais je ne savais pas ce qu'il pensait des gens comme moi. J'espérais qu'il ne le sache jamais d'ailleurs. Et qu'on continue de se croiser ainsi, de temps à autres, et de discuter simplement.
-Merci Lincoln pour toutes ces précieuses informations. Je vais m'y rendre de ce pas. J'espère que nous nous recroiserons à l'avenir, lui adressai-je dans un sourire bienfaiteur.

Un dernier regard, puis je dirigeai Hateya dans la direction de Tondc, me réjouissant d'arriver enfin à bon port après un si long voyage.
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