Le banquetUn repas n'est bon que si la compagnie est bonne.
Eris vérifia une dernière fois l'assiette. Tout était parfait, brillant, coloré, les bougies sur le mur illuminaient la grande salle à manger comme le soleil illuminait les murs du palais. Il était presque quatorze heures, Eris s'attendait à recevoir le chef du clan des Rocheuses. Elle avait envoyé son invitation deux jours plus tôt, par un éclair de motivation, et savait qu'il viendrait pour une simple raison : ils ne s'étaient encore jamais rencontrés. Le chef du clan voisin était un homme monté sur le trône récemment. Eris avait déjà sept ans de règne derrière elle et avait su garder son peuple sous sa main ferme mais chaleureuse. Les clans voisins n'avaient pas cherché de conflits, que ce soit par confusion à l'égard de la Régente de la Falaise Bleue ou par crainte de se voir rejeté de la coalition et attaqué par une armée constituée de soldats de tous les autres clans. La Coalition s'était montrée efficace jusqu'ici, mais elle n'effaçait pas les tensions. Il fallait se montrer rusé pour rester en sécurité, et il s'avérait qu'Eris se débrouillait très bien question diplomatie.
Dressée toute de blanc immaculé, Eris s'accordait parfaitement avec la nappe de table. La pièce était parsemée de décorations de toutes couleurs, dans lesquelles se reflétaient la lueur des bougies. Au plafond, un immense chandelier avec plus de bougies qu'on ne puisse en compter sans devenir fou. Eris aimait cette ostentation. L'extravagance était une cachette parfaite pour cet être aux lourds secrets. La Régente se tourna vers ses serviteurs et leur offrit un hochement de tête qui signifia que tout était prêt. Les invités pouvaient être accueillis. Eris alla s'asseoir sur la deuxième chaise en partant de la gauche, sur le côté droit de la longue table qui pouvait accueillir trente personnes. Quinze de chaque côté. On avait stipulé à Eris qu'elle pouvait avoir plus grande table encore, mais elle n'en voyait pas l'intérêt. Elle faisait rarement dans les grands buffets, et aujourd'hui elle se contenterait de vingt-neuf personnes issues du clan adjacent au sien. Elle réajusta sa robe dont le bout lui chatouillait les pieds. Elle ne portait ni chaussures, ni chaussettes d'aucune sorte. Ici, elles lui étaient inutiles. L'air de la pièce était empli de nombreuses odeurs en provenance des divers plats répartis sur la table. Carafes d'alcools, carafes d'eau accompagnaient les mets. Tout était prêt. Tout était parfait. - Faites entrer les invités, ordonna Eris d'une voix sereine. Cette rencontre était prometteuse. Eris avait hâte de voir qui se cachait derrière le chef des Boudalan.
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Le chef de Boudalankru s'abaissa devant elle - ce qui revenait à se mettre à sa hauteur - et lui prit la main pour lui offrir un baiser. Elle le remercia d'un hochement de tête gracieux. - Le plaisir est même, Yuma. Asseyez-vous, je vous en prie. Elle désigna la chaise en face de la sienne. Seule la table les séparerait ce soir. Vous pouvez m'appeler Eris, tout comme je me permets de vous nommer Yuma. Elle attrapa sa petite coupe d'eau pétillante qui venait droit des montagnes. Elle la porta à ses lèvres et but calmement, non sans lâcher l'homme de ses yeux malicieux. Elle prit son temps pour le décrire, et en conclut qu'il n'avait rien de décevant physiquement. Il semblait fort, modeste, mais Eris devait encore déterminer sa personnalité, et cela ne se remarquerait qu'au cours de leur conversation. Elle avait déjà quelques questions simples à lui poser. Des questions qu'elle posait souvent aux nouveaux chefs de clans. Il était important de connaître ses voisins, et ce plus encore depuis l'instauration de la Coalition. Les clans étaient censés être en meilleur terme, mais Eris se méfiait. On était jamais à l'abri d'un mauvais coup, Eris était bien placée pour le savoir. - Votre montée au pouvoir est récente. J'espère que le titre n'est pas trop difficile à porter. Ce n'est pas facile de mener un peuple, moins encore quand les héritiers sont nombreux autour de vous. Elle entamait déjà un thème important. Un thème qui, au plus profond d'elle, l'agaçait profondément. Boudalan, le clan voisin, avait énormément d'héritiers, tandis qu'elle, ici, dans le Ciel de la Falaise Bleue, était seule. Si elle mourait ce soir, son peuple et son héritage seraient perdus. Le territoire serait volé par un clan voisin aussitôt la nouvelle de l'absence d'héritier annoncée.
Eris restait discrète sur sa vie privée. Son propre peuple était incertain sur les habitants du palais. Eris n'était pas liée, à aucun homme, ni à aucune femme, mais personne en était vraiment sûr. Avec Eris, tout était possible. Elle apparaissait ici et là, enveloppée par une bulle d'extravagance, et sa vie, son secret, restaient bien gardés. L'homme en face d'elle voyait en Eris une femme, une reine, mais elle était ni l'une ni l'autre. La Régente était un fantôme éphémère. Elle reprit une gorgée et posa sa coupe. Les bougies du chandelier brûlaient au-dessus d'eux. L'odeur des plats chauds enveloppait les plats froids. Ils entameraient le dîner. Dans un petit instant.
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Il n'y avait pas à dire, cet homme était poli. Rien à voir avec certains chefs de clans malhonnêtes qui venaient sur la Falaise pour tenter d'usurper des vives d'importance ou une quelconque alliance contre la Commandante. Non, vraiment, certains n'étaient vraiment que des hypocrites. Eris, elle, ne se retournerait pas contre le pouvoir central. A moins qu'elle n'ait une bonne raison pour le faire. Pour le moment, ça n'était pas le cas. Yuma répondit aux premières questions de la Régente, avec un développement qui montra à Eris que l'homme était loin d'être timide. Il était peut-être même aussi bavard qu'elle. Il en vint rapidement à sa crainte de voir l'alliance entre son clan et l'Ouskejon se briser. Evidemment, Eris n'ayant pas préciser la raison de cette rencontre, Yuma ne savait pas pourquoi la Régente l'avait invité. Elle le laissa terminer son monologue, laissant son regard fixé sur lui. Elle ne réagit jamais, laissant la neutralité masquer son visage, mais à l'intérieur de son esprit, une porte se claqua lorsque Yuma évoqua sa fratrie. Il venait de lui rappelait qu'elle était seule. Orpheline, incapable de procréer. S'il l'avait fait exprès, c'était cruel de sa part. Si c'était non intentionnel, alors il était bien maladroit. Dans les deux cas, Eris ne laisserait pas passer cette moquerie. Mais pour ne pas montrer qu'il venait de la toucher, elle continua selon son plan.
- Je veille sur l'Ouskejon depuis sept ans, Yuma. Mon peuple s'en porte très bien ainsi. Voyez, toutes ces vivres sur la table, je suis capable de les offrir à chaque famille. Nous sommes soudés, comme une grande famille, je les protège. Nul besoin de sang pour lier un peuple, termina-t-elle en saisissant la carafe d'alcool pour s'en servir une coupe. Elle se servit aussi une portion de pommes de terre sautées. Eris aimait transformer ces aliments. La gastronomie du clan s'était développée ces dernières années pour faire ressortir le goût de ces légumes et viandes élevés avec soin. - Servez-vous, je vous prie, ajouta-t-elle poliment en goûtant elle-même un morceau de pomme de terre. Les bougies brûlaient encore, lentement, et Eris pouvait ressentir leur chaleur d'en-bas. Le chandelier ne tremblait pas, mais les flammes dansaient pour faire fondre la cire. Ils allaient peut-être rester assis encore un moment, mais cela était incertain. Tout dépendait des prochaines paroles du chef boudalan. - Cela se passe-t-il bien, avec vos frères et soeurs ? Si je ne suis pas menacée par la concurrence, ce n'est pas votre cas. Vous devez être très proches les uns des autres pour rester soudés, je suppose. Sans le lâcher du regard, elle continua de manger tranquillement, se servant même avec grand calme dans les autres plats. Elle inviterait certainement les accompagnateurs du chef un peu plus tard pour vider les plats encore nombreux sur la grande table.
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Les tensions entre frères et soeurs, Eris ne les avait jamais connues. Elle se demandait parfois ce que ça aurait changé pour elle, d'avoir fait partie d'une famille nombreuse. Une chose lui apparaissait toujours comme une évidence : elle n'aurait pas été reine. Elle n'avait jamais voulu l'être. Elle avait toujours rêvé d'être une voyageuse, découvrir le monde, apprendre, rencontrer des gens. Mais elle ne pouvait jamais partir bien longtemps. Son corps lui rappelait souvent qu'elle était vouée à une vie de douleur et de solitude. La dernière de sa famille. La dernière de la lignée royale. Si elle pouvait tomber enceinte, que l'enfant soit de son sang ou non, elle serait soulagée d'un immense poids. Elle afficherait sa grossesse à son peuple et mettrait au monde un enfant qui monterait un jour sur le trône. Mais à vingt-sept ans, elle faisait tout pour cacher son état. Elle était encore jeune, quand bien même les précédentes reines avaient déjà porté à l'âge actuel d'Eris, mais elle n'était pas vieille non plus. Le problème serait plus difficile à aborder dans dix ans, lorsque son peuple lui demandera si un héritier avait vu le jour. Elle ne pourrait leur mentir. Le jour viendra où Eris sera obligée d'admettre la vérité, et d'ainsi mettre son peuple en danger.
- C'est honorable de votre part, répondit-elle après avoir avalé une bouchée de betterave rouge. Elle le quitta des yeux pour se concentrer sur la nourriture et ne dit plus un mot pendant six minutes et cinq secondes. Elle profita de ce temps-là pour prendre un peu dans chaque plat qui l'entouraient. Elle ne pouvait pas tous les atteindre, la table étant trop grande, alors elle se contentait de ceux encerlant son assiette. - L'agriculture est très développée chez nous, commença-t-elle à expliquer. Je voulais m'assurer que tout le monde puisse manger à sa faim. Il n'est pas aisé de chasser dans les montagnes en période de froid, vous devez en être conscient vous-même. Il en va de même dans la forêt et les plaines qui perdent une importante partie de leur faune et de leur flore en temps de froid. Pour cette raison, tout est rationné avec précision. Nos récoltes sont fructueuses, nous partageons parfois avec d'autres clans. Si des échanges commerciaux vous intéressent, je considérerais votre demande, mais j'attendrais évidemment quelque chose en retour, puisque je parle bien d'échanges et non de dons. Elle reprit une bouchée. Encore sept minutes. Elle avait encore le temps de discuter. Elle avait encore le temps de passer à autre chose. Mais la diplomatie de Yuma ne l'avait pas encore convaincue.
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En effet, avoir un enfant était un miracle. Miracle qu'Eris ne connaîtra jamais. Sans le savoir, Yuma perdait point après point auprès de la Régente. Il ne le faisait pas exprès, évidemment, mais Eris trouvait que Yuma racontait beaucoup trop sa vie, ce qui n'était pas très prudent pour un chef de clan. Eris savait déjà pas mal de choses sur lui, et elle ne rendrait évidemment pas la pareille. Elle avait rien à raconter sur sa famille. Elle n'en avait plus. Sa mère, dernier membre, avait été exécutée par sa propre fille. Eris faisait tout pour conserver son secret tandis que Yuma semblait ne pas en avoir. Mais Eris avait toujours vu des secrets en chacun, et elle était certaine que Yuma en avait aussi. Elle allait les découvrir. C'était certain. Elle ne pouvait faire confiance à un chef de clan voisin sans être sûre de ses bonnes intentions.
Eris prit son temps pour terminer sa bouchée. Encore un petit instant. Puis elle ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot n'eut le temps de passer ses lèvres que de fines gouttes blanches tombèrent du chandelier pour s'écraser sur la joue de Yuma. Quatre gouttes de cire. La huitième bougie du chandelier avait fondue au-dessus du chef Boudalan jusqu'à déborder et s'écouler. Eris n'en pensa pas plus. Elle se leva, sortit un mouchoir de sa poche et se jeta sur le pauvre homme. Elle lui essuya la joue avant de réaliser que la cire chaude avait dû le brûler. Elle saisit alors un verre d'eau et en versa la moitié sur le visage de l'homme avant d'essuyer à nouveau. - Je suis désolée, je ne pensais pas que ça arriverait, je fais pourtant nettoyer ce chandelier régulièrement... Eris parut bouleversée. Un chef voisin blessé lors du banquet de leur première rencontre, quelle honte !... quelle... scandale ! Elle retourna s'asseoir, la main sur le dossier de la chaise, le regard perdu dans le vide. - Vraiment... désolée... murmura-t-elle, choquée et déçue. Elle avait tout fait pour que ce banquet soit parfait, et son chandelier venait de tout gâcher. Oui, tout gâcher. Yuma avait peut-être un morceau de peau brûlé maintenant ! Certes, rien qui ne guérira pas, mais tout de même ! Quelle réputation d'hôte Eris allait-elle avoir maintenant ! Une mauvaise... une bien mauvaise... Eris espérait que cela serait vite oublié, et elle avait l'infime conviction que ce serait le cas.
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Et pourtant, Eris était bien responsable. Elle avait mené la discussion calmement, mangeant ses petits légumes et viandes fumées tandis que les bougies fondaient sur le chandelier au-dessus d'eux. Si on regardait le chandelier avec attention, on pouvait voir qu'une bougie sur deux était infimement bleue. Si infime que, de loin, elles paraissaient blanches. Les autres, absolument blanches, étaient tout à fait banales, et n'avait pas de différence avec les bougies des autres clans. Les bougies bleues, quant à elles, avaient la particularité d'avoir été fabriquées avec la cire des bougies normales et la fonte du joyau bleu. Cette pierre particulière n'était pas très connue des autres clans. La falaise était bien ornée de joyaux, mais on pouvait en distinguer trois nuances de bleu. L'une de ces nuances était spéciale pour la famille royale. Seule celle-ci donnait son nom à la pierre de 'joyau bleu'. Eris ne l'utilisait pas souvent contre ses visiteurs. Elle penchait généralement pour d'autres produits, comme le sucre qu'elle avait utilisé contre Heda quelques années plus tôt, mais aujourd'hui, elle avait eu envie de tester ce petit stratagème. Cette bougie au socle trouée avait su laisser tomber quelques gouttes sur le visage de l'invité.
Eris se remit droite sur sa chaise et saisit sa cuillère comme si rien ne s'était passé. Elle saisit un petit bol rempli de ce qui ressemblait à du fromage blanc et enfourna une bonne cuillère dans sa bouche. Quelques minutes et le chef boudalan se sentirait tout drôle, mais heureusement pour lui la dose reçue était infime. Sa joue le démangerait un peu et il était probable qu'il saigne du nez, s'étant reçu le produit sur le visage. Rien de bien grave. Eris avait elle-même testé les effets du joyau bleu dans son enfance et la famille royale s'était assurée d'en protéger ses proches dès la plus tendre enfance. Il n'y avait vraiment eu qu'Eris pour se blesser avec un joyau bleu pur alors qu'on lui avait maintes fois répété que la pierre pouvait s'avérer mortelle... - Mangez donc, Yuma, je vous en prie ! Après cet incident, vous pouvez bien vous servir... déclara-t-elle, jouant la carte de l'innocence pour le moment. Elle s'en amuserait ensuite, quand les effets arriveront. Elle allait bien voir qui était réellement le chef boudalan... s'il essayait de la tuer, elle saurait qu'il n'était pas digne de confiance.
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Le chef boudalan n'avait pas l'air de se rendre compte de la gravité de la situation. Il venait d'être ajouté à la liste des personnes trompées par la Régente de l'Ouskejon. L'ego du chef allait s'en prendre un coup lorsqu'il réalisera la supercherie. Eris ne faisait pas cela contre lui, loin de là. Elle ne faisait simplement confiance à personne. Des personnes avaient souhaité atteindre l'Ouskejon par le passé, et une avait réussie. Eris ne laisserait quiconque faire un pas de trop sur la Falaise, c'est pourquoi elle prenait énormément de précautions pour ses rencontres avec des inconnus. Elle n'avait aucune intention de tuer qui que ce soit. Eris tuait rarement ainsi. Elle tuait rarement tout court, d'ailleurs. Elle préférait les gens en vie. Ils pouvaient s'avérer très utiles lorsqu'ils étaient sous contrôle. Eris était maître dans l'art de manipuler les gens, et la manière la plus simple de voir la vérité en quelqu'un était de lui faire croire qu'il était aux portes de la mort. La vraie personnalité de chacun se révélait en ce moment-là.
Eris ne répondit pas tout de suite à la question de Yuma concernant les échanges. Elle observa la goutte de sang glisser de son nez. Yuma commençait à réaliser. Le sourire d'Eris ne bougea pas. Elle qui avait semblé si embêtée lorsque la cire avait légèrement brûlé la joue du chef était en réalité l'instigatrice de tout ça. De quoi embrouiller Yuma d'autant plus. Eris prit son verre et but quelques gorgées avec ce même calme qui l'accompagnait depuis le début. Elle allait laisser Yuma réagir en premier. Et seulement après avoir observé le chef, elle expliquerait ce qui était en train de se passer.
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Eris avala un grain de raisin qu'elle avait pioché tandis qu'elle dévisageait le chef boudalan. Son nez saignait, et le chef en sembla très gêné. Elle croqua dans le raisin pour cacher la surprise et l'interrogation qui traversaient son esprit. Le chef ne comprenait pas encore ce qui lui arrivait, mais cela ne saurait tarder : bientôt le sang qui s'écoulera n'aura plus sa teinte pourpre naturelle mais bien une teine bleue marine, signe explicite d'un empoisonnement au joyau bleu. Une petite dose suffisait à causer quelques dommages, mais rien de bien alarmant, et Eris se demanda alors si elle n'aurait pas dû prévoir une dose plus forte. La souffrance qui accablerait le chef des Rocheuses aurait été suffisamment forte pour que celui-ci comprenne qu'il ne s'agissait pas d'une maladie quelconque. Mais ce n'était pour l'instant qu'une goutte de sang rouge. Et il ne se doutait toujours pas de la fourberie d'Eris. Au moins, cette dernière n'avait pas à s'inquiéter sur une quelconque accusation. Elle continua de manger sans répondre aux excuses de Yuma. Ce chef-là ne semblait pas vraiment vif d'esprit... ne s'empêchait de penser la Régente.
Alors elle décida de continuer encore un peu. Elle attrapa la théière qui reposait sur un petit trépied métallique, une petite flamme gardant l'objet chaud, et versa un peu de liquide dans la tasse vide près de son verre. Elle sourit d'exaltation à l'odeur douce de plantes qui se répandait dans la pièce. De son autre main, elle ouvrit la petite boîte de sucre disposée au centre de la table, un peu à gauche des deux chefs. Elle saisit le deuxième sucre de la quatrième ligne et le laissa tomber dans le liquide chaud. Elle glissa une cuillère dans sa tasse et touilla doucement, la théière encore en main. - Vous en voulez ? On m'a appris que le thé soigne tous les maux, et cela s'est affirmé vrai pour moi. Elle tendit la théière le temps de recevoir une réponse. De sa main libre, elle porta sa tasse à ses lèvres et se délecta de quelques gorgées de liquide arômatisé.
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Le chef boudalan semblait enfin se réveiller. Il n'était donc pas totalement idiot, se dit Eris. Depuis le début du banquet, les événements avaient pris une tournure des plus étranges. Si Yuma avait pensé plus longtemps que la chute de la cire n'était qu'un simple accident, Eris l'aurait fortement catégorisé. On ne pouvait faire confiance à des hommes si aisément trompés. Mais Yuma commençait à comprendre. Il se leva brusquement, la table tremblant sous son geste abrupte, et s'écria. Il avait au moins compris que la régente lui avait fait quelque chose, mais il n'avait pas encore compris exactement ce qu'elle avait fait, ni comment elle y était parvenue. La fourberie d'Eris dépassait les lois morales des natifs et ses mécanismes valaient ceux des vieux tours de magie de leurs ancêtres.
Eris prit le temps de terminer son thé, et seulement une fois que la tasse fût vide, elle la reposa sur la table et offrit un sourire posé au chef voisin. Son énervement ne l'impressionnait pas. Elle était plus en sécurité ici que n'importe où ailleurs, et il fallait dire aussi que la situation l'amusait. L'homme perdait sa contenance sans même qu'elle n'ait besoin de lui faire avaler aucune plante, contrairement à la commandante Trikru qui avait eu besoin d'un breuvage pour ouvrir son coeur et laisser son esprit de côté. - Vous n'allez pas mourir, je ne vois pas d'intérêt dans un assassinat d'un jeune chef aussi téméraire que vous. Elle découvrait de plus en plus la personnalité du jeune chef et doutait de pouvoir faire affaires avec lui. L'entente entre les deux clans avait toujours été compliquée, et si Yuma ne semblait pas être quelqu'un de mauvais, quelque chose en lui dérangeait la régente. - Votre impulsivité me rend sceptique. Vous laissez passer vos émotions avant votre raison. Cela pourrait vous coûter la vie, vous savez. Si je vous avais mortellement empoisonné, s'énerver contre moi ne vous aurait pas sauvé la vie, au contraire. C'est une erreur de débutant, Yuma. Autant être directe avec lui sur ce point-là. Eris ne se jugeait pas meilleure diplomate, elle jugeait seulement le comportement actuel du chef comme une erreur d'improvisation. Un geste était un coup sur un échiquier. Le mauvais geste menait aisément à un dur échec et mat. Il en allait de soi qu'Eris était aussi bonne stratège qu'elle n'était bonne actrice.
Je vois dans ton RP que tu évoques une rencontre passée entre le père de Yuma et Eris, qui elle aurait utilisé un piège similaire sur l'homme. Je n'ai jamais évoqué une telle rencontre, et Eris n'utilise jamais les mêmes pièges sur des personnes aussi proches, ce serait idiot. Pour cela, je préférerais qu'on discute du passé entre les deux clans, plus particulièrement de la relation entre le père de Yuma et Eris. Je ne veux pas qu'on invente des faits passés à mon personnage. (Je ne dis pas ça méchamment, je veux simplement qu'on établisse ce passé plutôt que de s'y référer à tout va, car pour le coup le passé dont tu parles je ne le connais pas alors que je suis concernée.)