Mamie Confiotte - Kleodora

Dans les rues de Polis la tension était palpable, certains esprits échauffés. Les gens se demandaient quelles mesures seraient prises contre les jeunes du ciels, quelques uns craignaient cette nouvelle menace. Au milieu de l’agitation une silhouette avançait tranquillement vers la haute tour. Personne n’aurait pu se douter de son rang. Une simple vieille dame en tenue de voyage parmi tant d’autres. Arrivée devant les gardes elle joua, avec la perfection comme toujours, le rôle de la mamie un peu gâteuse venue rendre visite à son petit-fils. Ils la laissèrent passer, un sourire sur leurs lèvres. Evidemment Kleodora aurait pu décliner son titre, elle aurait sûrement réussi à les convaincre qu’elle était attendue. Mais c’était beaucoup moins drôle. En plus elle était sûre de ne pas perdre la main comme ça.
Kleodora s’éclipsa dans la chambre de l’ambassadeur d’Ouskejon. Elle avait toujours une ou deux tenues de rechanges dans un coin. Elle se changea pour des vêtements plus appropriés à son rôle de Conseillère et se rendit à la salle du trône. Evidemment qu’elle savait que les ambassadeurs et le Heda étaient en plein conseil. Evidemment qu’elle allait les interrompre. En plus les conseils sont si ennuyants. Kleodora déclina son identité à un des gardes devant la porte et lui demanda à voir Heda. Il disparut dans la salle. Considérait-elle la visite impromptue d’un membre d’Ouskejon assez intéressante pour cesser le conseil ? Les uns après les autres les ambassadeurs sortirent, certains l’air mécontents lui lancèrent un regard peu avenant. La vieille dame les défia du regard, ce n’étaient que des petits roquets aboyant fort sans jamais rien faire. Un des gardes lui fit signe d’entrer, ce qu’elle fit. La porte se referma dans un claquement dans son dos, et elle s’avança vers le Heda. Lexa si sa mémoire était bonne. Or elle l’était. Kleodora s’était bien renseignée et ce depuis un moment. Elle trouvait son parcours assez intéressant. Une simple orpheline arrivée tout en haut de la montagne. Kleodora s’arrêta au niveau du siège d’Ouskejon et sourit gentiment à Heda.

« Désolé si je ne plie le genou, mes vieux os ne me le permettent plus depuis longtemps. »

Sa fierté également. Elle s’assit avec un soupir de soulagement sur le siège, et posa une besace à l’air plutôt lourde sur le côté.

« Comment vous portez vous ? L’arrivée du peuple du ciel doit vous causer bien des soucis. »

Lexa se leva de son imposant trône et fit quelques pas. Kleodora ne baissa pas les yeux, les gardant en direction de ceux de la jeune femme. Elle ne voulait pas se montrer irrespectueuse, ce n’était pas dans ses intentions, elle n’aurait rien à y gagner et aucune raison de ne pas montrer de respect envers la jeune Commandante. Au contraire celle-ci le méritait. L’Heda avait réussi à unir douze clans dont l’activité favorite était de s’entre-déchirer, et, défiant tous pronostics la Coalition tenait toujours. Personne n’aurait pu imaginer que Delphes, Azgeda et Trishana puissent mettre leurs différends de côté aussi longtemps, et pourtant c’était le cas. Malheureusement l’arrivée du peuple du ciel leur donnait une raison pour s’agiter et recommencer à comploter. Azgeda profitera du moindre signe de faiblesse de la part du Commandant pour tout remettre en cause. L’inimitié entre la Nation des Glaces et celle des Arbres était connu de tout le monde. La reine Nia était une salope prête à tout pour prendre le pouvoir absolu. Pour tout cela, en regardant Lexa, Kleodora ressentait une pointe de respect mêlée à une pincée d’inquiétude. Elle désirait aider sa cadette, lui apporter ses sages conseils de vieille dame en ces périodes troubles et qui ne feraient sûrement que s’assombrir.

Le voyage d’Ouskejon à Polis à cheval n’était jamais une partie de plaisir. C’était devenue plus facile grâce à la Coalition, moins de risques de faire des rencontres mortelles en chemin. Mais chevaucher toute la journée devenait plus compliqué avec l’âge, il fallait s’arrêter plus souvent, faire de plus longues pauses. Kleodora n’avait pas pris le temps de se reposer et sentait son corps commencer à la faire souffrir. Mais elle en avait vu d’autres et des bien pires. Elle n’avait pas voulu attendre plus avant de rencontrer Lexa. Eris avait grandement titillé sa curiosité.

« Je me porte merveilleusement bien, merci. Quand on sait profiter du paysage le voyage peut être très agréable et paraitre même un peu trop court. »

Kleodora fit une courte pause le temps de trouver la meilleure manière d’expliquer la raison de sa visite.

« Nous ne nous étions pas encore rencontrés. Je n’étais malheureusement pas à la capitale lors de votre entrevue avec la Régente. Eris m’en a raconté une partie, ce qui m’a incité à faire votre rencontre. Vous semblez être quelqu’un de bien qui agit avant tout pour son peuple. »

Les voyages à Ouskejon Skai et, plus particulièrement, les rencontres avec Eris étaient toujours inoubliables. La jeune Régente avait le don pour laisser une trace de son passage dans l’esprit des gens. Elle savait aussi très bien comment obtenir des informations. Elle n’avait certainement pas épargné Heda. Eris n’aurait jamais rejoint la Coalition sans être sûre de la bonne foi de Lexa. Mais Kleodora n’était pas à la capitale au moment de leur entrevue. Elle ne pouvait donc se baser que sur les racontars, ce qu’elle détestait par-dessus tout. On ne pouvait et devait pas faire confiance aux bruits de couloirs. Quant au compte-rendu d’Eris… Kleodora appréciait la jeune femme mais pas au point de lui vouer une confiance absolue et aveugle. Ce serait une erreur. Faire confiance sans recul l’était toujours.

Heda était une femme polie, son excuse semblait sincère. Kleodora fit un signe de main et une moue signifiant que cela n’avait pas grande importance. Se rencontrer avant ou maintenant, peu importe. Le principal était que cela arrive. De plus, la vieille dame comprenait qu’à cette époque Lexa n’ait pas eu d’autres préoccupations en tête que la Coalition. Un tel projet devait demander énormément de concentration, et Heda ne pouvait pas, à ce moment là, se laisser distraire par les histoires d’une vieille dame. D’ailleurs, Kleodora pensait déjà à une jolie histoire qu’elle pourrait raconter à Lexa. Une journée n’est pas réussie sans un beau conte.

Kleodora écouta attentivement les paroles suivant le remerciement. En quelques phrases on pouvait tant apprendre sur le propriétaire des mots. Si on savait dénicher la sincérité, les émotions parfois cachées en-dessous. Effectivement la Coalition devait être une charge par moments. Ne plus penser pour un clan mais pour douze, devoir tous les satisfaire, n’en froisser aucun, se révéler sûrement ardu par moments. Kleodora acquiesça doucement à la fin de la tirade, signe qu’elle comprenait parfaitement.

« En particulier quand certains donneraient beaucoup pour voir la Coalition détruite. Ils vont profiter de l’arrivée de cette mystérieuse capsule pour semer la discorde. Vous feriez bien de surveiller vos arrières le temps de tout régler. Ce n’est qu’un conseil de vieille dame méfiante bien sûr.»

Lexa ne semblait pas idiote, elle devait se douter que des conflits intérieurs surgiraient. Mais il y avait une différence entre s’en douter et l’entendre dire par une personne extérieur.

La paix était un concept échappant à la plupart des clans. Tellement plus facile d’aller détruire l’autre. Mais si seulement ils étaient plus nombreux à faire cela avec grâce et élégance. Se battre sur un champ de bataille c’était tellement barbare, primitif, il ne fallait pas beaucoup de neurones pour brandir une épée. La stratégie ? Il n’y avait peut être que Ouskejon qui savait construire un plan de bataille correct et organisé, les autres se contentaient de lancer leurs armées les unes sur les autres, espérant qu’avec un peu de chance cela aboutisse sur une victoire. Un peu de poison, quelques coups de poignards dans le dos, un petit coup d’Etat… Ca c’était bien. Propre, discret, rusé. Là on savait quel genre d’ennemi il y avait en face, à quel point il était déterminé à remporter la victoire, à quel point il serait dur de l’abattre. C’est pour cette raison que Kleodora avait toujours eu un peu de mal à cerner Azgeda. Cette vieille carne de Nia ne cessait d’alterner entre plans foireux et coups bas géniaux. Car même si ce qu’elle avait fait subir à Costia était la pire des atrocités, il fallait l’avouer c’était ingénieux. Inhumain et barbare mais ingénieux.

Oh mais si on peut savoir quand la paix va exploser, quand la hache de guerre va être à nouveau déterré. Car elle n’est jamais enterré bien profondément cette bonne vieille hache. Le manche dépasse toujours un peu, prêt à être à nouveau empoigné. Il suffit d’avoir des yeux et des oreilles partout, de bien connaitre son potentiel ennemi, de garder un œil sur les anciens, de veiller à ce qu’il n’y en ait pas de nouveau. Mais peut être que Lexa ne possédait pas d’espions… Ce serait un peu étonnant, et elle baisserait considérablement dans l’estime de Kleodora. Si effectivement Heda ne possédait aucun informateur, la vieille dame pourrait lui en fournir quelques uns, son réseau était tellement étendue, elle ne verrait pas vraiment la différence.

"On peut savoir. Il le faut sinon comment pourrions nous nous y préparer ? Mais peut être que vous ne disposez pas d’yeux et d’oreilles pour être tenu au courant… Si c’est le cas Ouskejon pourrait sûrement remédier au problème…"

Le regard de Kleodora se perdit momentanément dans le vide avant de revenir sur le Heda, un léger sourire fleurit sur ses lèvres.

"Au fait…voulez vous entendre une histoire ? Elle ne sera pas très longue rassurez-vous."