Back to you - Abby

Les silhouettes de hauts murs se dessinaient. La route avait été longue, si bien que la nuit était tombée sur les deux compagnes de voyage. Clarke avait cru ne jamais trouver le chemin du camp, mais le nouveau camp s'avérait plus proche du campement des Cent que Clarke le pensait, et elle avait pu apercevoir des lueurs de loin, lueurs qu'elle avait suivies jusqu'à parvenir aux murailles de fer. Dans l'obscurité, elles semblaient impressionnantes. Malgré l'épuisement qui alourdissait ses membres, Clarke leva les bras hauts pour que les gardes probablement postés aux portes ne leur tirent pas dessus. Elle s'avança lentement et les portes s'ouvrirent pour laisser passer des silhouettes qui saisirent Clarke rapidement. Son visage et ses vêtements tâchés ne la montraient pas sous son meilleur jour, mais ils la reconnaîtraient bien, non ? Pour l'instant, ils n'essayaient pas vraiment de la reconnaître. En revanche, Ankara avait tout l'air d'une native, et Clarke voulut aussitôt mettre les choses au clair... voulut. Elle n'eut pas le temps de parler, on l'assoma à coup de crosse de mitraillette. Ils pensaient qu'elle avait essayé de se débattre, mais elle avait simplement voulu leur dire qui elle était.

Clarke n'espéra plus rien. Ses pensées s'entremêlaient et elle avait du mal à discerner ce qui se trouvait autour d'elle. On la traînait, ses jambes flasques retournant la terre humide. Elle entendait des bribes de paroles, des mots détachés qui ne parvenaient pas à s'assembler en phrase dans son esprit. Ils devaient la prendre pour une native. Pour l'ennemi. Etait-elle prisonnière ? Allaient-ils la tuer pour un malentendu ? Pas étonnant qu'une guerre entre les deux peuples soit en cours... il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre ! Personne ne réfléchissait une seconde, ici ?! Clarke laissa sa tête retomber. Elle avait mal, n'avait plus d'énergie, et ne pouvait rien faire contre l'événement en cours, alors elle se laissa peu à peu aspirer par le tourbillon noir de l'inconscience.

Clarke sentit à peine les mains de sa mère sur son visage. Elle entendit à peine son prénom s'échapper des lèvres inquiètes de la femme. Elle était épuisée. Elle eut du mal à se concentrer sur sa mère. Elle entendait des échos du passé, des répliques qui émergaient d'ici et là. Des mots de sa mère, gentils, blessants, des meilleurs moments familieux conservés par l'esprit de Clarke aux pires moments de sa vie. Le deuil, la trahison... toute cette douleur que Clarke traînait encore derrière elle depuis son arrivée sur Terre. Au fond, elle en voulait encore terriblement à sa mère pour avoir dénoncé Jake Griffin, mais la situation avait évolué depuis, Clarke elle-même avait pris de mauvaises décisions, et la situation présente était bien trop grave pour que Clarke se concentre sur des maux personnels. Elle venait de retrouver sa mère. Elle venait d'avoir la preuve que celle-ci était encore en vie. N'était-ce pas déjà une belle chose ? Elle en voulait à sa mère, certes, mais pas au point de vouloir sa mort... Abigail était sa seule famille. Il leur faudrait réapprendre à se faire confiance.
- Maman ? appela-t-elle en un murmure douloureux.
Elle n'était pas certaine de savoir si sa pire douleur était physique ou mentale. Tout était confus.

Elle se laissa porter tandis qu'on l'emmenait, supposément, vers l'intérieur du vaisseau. Elle n'avait jamais vu l'Exodus, et n'était pas en mesure de l'examiner présentement, mais supposait qu'il lui rappellerait énormément de sa vie sur l'Arche, et outre la nostalgie de son enfance cela lui serait sûrement douloureux. Toute sa vie avait été sur l'Arche, jusqu'à la mort de son père. Et maintenant, elle devait apprendre à faire son deuil sur Terre, avec sa rancune qui s'épaississait chaque jour, de plus en plus, avec la charge des responsabilités qui l'écrasaient depuis qu'elle était sortie du lot des Cent pour s'assurer de la survie de ceux-ci. Et tout ça pour quoi ? Elle n'avait pas été capable de sauver tout le monde et peinait à se sauver elle-même. Elle avait un don pour se mettre dans les pires situations et se trouvait obligée d'accepter l'aide des autres sans être certaine de pouvoir s'assurer de leur fiabilité. La preuve pour la femme des bois...
On la déposa sur une surface mi-rigide, mi-molle et elle se rendit compte du froid qui régnait en ce lieu. Elle frissonnait. Après des heures de marche dans la forêt, sa tenue légère issue tout droit du Mont Weather ne suffisait plus. Le Mont Weather...
- Le Mont... commença-t-elle hâtivement, c'est eux qui...
Elle se coupa pour reprendre sa respiration, celle-ci accélérée par les battements vifs de son coeur. Elle venait de retrouver les siens, sa mère... mais le danger du Mont planait encore, d'autant plus suite à son évasion.

La scène qui se déroulait lui apparaissait comme un souvenir douloureux. Les caresses maternelles de sa mère lui avaient sauvé la vie des centaines de fois dans sa jeunesse, mais aujourd'hui elles lui pinçaient le coeur. Abigail Griffin avait à peine porté attention à sa fille lorsqu'elle l'avait retrouvée sur Terre, à la porte de la navette des délinquants. Clarke avait pensé que c'était peut-être pour le mieux. Elle lui en voulait encore beaucoup pour avoir trahi son père, mais les choses étaient différentes après les derniers jours passés au Mont. Après avoir été enlevée par les natifs, puis par les montagnards, Clarke n'avait pu savoir si les siens étaient arrivés au camp sains et saufs. C'est cette angoisse qui l'avait poussée à persévérer dans ses plans d'évasion. Elle avait été loin dans ses tentatives et la dernière avait été un succès. Un succès moindre pour Clarke, car une vie avait été perdue. Une vie... plusieurs. Clarke avait tiré sur d'autres personnes, des soldats qui avaient pour ordre de les arrêter elle et les deux femmes natives, mais des personnes quand même. Comment pouvait-elle en vouloir encore à sa mère alors qu'elle avait très certainement tué des pères de famille, des mères, des frères, soeurs, oncles... à cette heure-ci les montagnards pleuraient sûrement leurs morts.

Une larme s'écoula sur la joue de Clarke. Pourquoi devaient-ils se battre autant ? Archéens et natifs, archéens et montagnards... ils se battaient, se saignaient tous entre eux... tout ça pour quoi ? Survivre ? Clarke ne comprenait plus rien. Si c'était ça survivre, ça n'en valait pas la peine. Ils ne le méritaient pas.
- Ils y sont encore... tenta-t-elle d'expliquer malgré la douleur, mes amis sont piégés au Mont Weather... il est peuplé...
Elle devait expliquer ce qu'ils faisaient aux Natifs et ce qu'ils allaient probablement faire aux leurs s'ils n'agissaient pas rapidement. Elle était épuisée mais s'était promis de dire le nécessaire avant de sombrer dans le sommeil.
- Les montagnards capturent les natifs et utilisent leur sang en cure contre la radiation...
Elle ferma les yeux pour souffler un instant. Sa tête lui tournait à cause de la fatigue mais elle avait besoin d'entendre une réponse. Elle avait besoin de savoir qu'elle avait été entendue et comprise.

Clarke avait à peine entendu les questions de sa mère avant de tomber dans le sommeil. Ces derniers jours avaient été éprouvants et le semblant de sécurité que lui offrait son retour auprès des siens l'avait poussée à s'endormir quelques heures. Mais lorsqu'elle se réveilla et aperçut glisser sous les portes la lumière extérieure, elle se redressa immédiatement. Sa mère était encore là, endormie à son chevet. Celle-ci non plus n'avait pas dû avoir beaucoup de repos ces derniers temps. Clarke hésita à la réveiller. Si sa mère dormait encore c'est bien qu'elle en avait besoin. Mais d'un autre côté, Clarke avait pas mal gesticulé et elle comptait déjà les secondes avant le réveil de la femme installée au bord de sa couchette.

L'anxiété de Clarke ne tarda pas à se réveiller non plus. Ses amis étaient encore piégés au Mont. Anya devait être rentrée et, avec un peu de chance, avait retrouvé sa cheffe, et Ankara... Ankara !
- Merde ! grommela Clarke en laissant ses jambes basculer de l'autre côté du lit.
Elle était déjà prête à partir, prête à se lancer à la recherche de la prisonnière, mais réalisa que c'était idiot de se lancer ainsi. Sa mère ou les gardes devaient bien savoir où se trouvait la guerrière native. Clarke lui avait dit qu'elle ferait en sorte qu'elle soit dans des conditions de captivité correctes, mais connaissant les siens ils l'avaient sûrement emprisonnée salement quelque part dans le vaisseau.
Clarke se mit alors à espérer que sa mère se réveille rapidement. Il y avait encore beaucoup à dire, beaucoup à faire.

Sa mère avait été réveillée par la disparition de son oreiller. Les cuisses de Clarke ne lui faisant plus office de coussin, Abby émergea de son sommeil à demi-conscient. S'endormir dans cette position n'avait pas dû être très confortable. Clarke laissa quelques secondes à sa mère pour émerger, mais pas plus de vingt : elle devait se dépêcher, la situation était grave. S'il arrivait quelque chose à Ankara car elle n'avait pas réagi assez vite, elle s'en mordrait les doigts jusqu'à la mort. Pour cette raison, elle ignora les avertissements de sa mère et se leva pour de bon, retenant une grimace de douleur. Elles n'avaient pas de temps à perdre, c'est ce qu'elle se répétait pour tenir le choc. Son état émotionnel la rendrait folle si elle n'était pas naturellement rationnelle.
- La native qui était avec moi, où est-elle ?
Elle posait cette question à sa mère, mais celle-ci avait-elle au moins remarqué la guerrière à ses côtés ? Clarke ne savait pas grand chose au sujet d'Ankara, mais elle savait le principal : Ankara n'était pas l'ennemi.

L'ennemi était le Mont Weather. Et cet ennemi détenait encore des archéens prisonniers. Chaque minute qui tombait écrasait Clarke. Elle avait le poids de la mort de Joshua sur la conscience, le poids de chaque délinquant encore prisonnier, le poids des remords depuis sa rencontre prématurée avec la commandante ennemie, le poids amer de son comportement injuste envers Finn. Clarke avait cette puissante envie de hurler. Depuis dix jours. Dix jours d'asphyxie constante. Deux points écrasaient sa gorge comme des doigts en train de l'étouffer. Une sensation désagréable qui lui rappelait qu'elle aurait pu empêcher la guerre entre les natifs et les siens bien avant de perdre des vies et de se faire enlever par les montagnards. Des erreurs diplomatiques qu'elle allait avoir du mal à se pardonner. S'il était juste de se pardonner soi-même...
- On n'a pas de temps à perdre, Maman. Nous tenons une solution mais nous pourrions la perdre aussitôt.
Elle était très vague, mais tout raconter lui prendrait énormément de temps. Du temps qu'elle n'avait pas.

Clarke s'en doutait, Ankara avait été placée en prison. Ce terme n'indiquait en rien la position de la native, Clarke avait besoin de précision. Elle ne pouvait pas laisser les siens interroger Ankara. Ne manquerait plus qu'ils lui réservent le même traitement qu'à Lincoln... et briser ainsi la promesse de Clarke de faire en sorte que le passage d'Ankara au Camp Exodus soit correcte. Clarke avait beaucoup de préoccupations en même temps et ne savait plus où donner de la tête. Par où commencer ? S'assurer du bien-être d'Ankara ou avertir les siens des dangers qu'ils couraient ? Elle hésita longuement, ouvrant la bouche à plusieurs reprises pour la refermer aussitôt. Que pouvait-elle dire à sa mère ? Par où commencer ? Elle venait à peine de rentrer... elle avait tant rêver de rentrer auprès des siens qu'elle n'avait pas pensé à ce qu'elle ferait une fois arrivée. Le plus important avait été d'arriver saine et sauve au camp. Et maintenant ?

Maintenant, Clarke décidait d'un ordre des quêtes. D'abord, elle devait vérifier l'état d'Ankara. Ensuite, elle devait rassembler ses amis, sa mère et Kane pour tout leur raconter. Eux aussi devaient lui expliquer la situation du camp. Elle ne savait pas qui des délinquants était arrivé ici en vie et cela l'effrayait. Mais au moins, le camp vivait. Elle n'avait pas encore vu grand chose de ce dernier, mais il était habité, et cela redonnait espoir à Clarke.
- Cette native est un gage de paix, une promesse de la cheffe de guerre qui nous accompagnait dans notre fuite. Celle-ci doit obtenir une négociation avec la commandante. Je ne peux pas en dire plus pour le moment, où sont les autres ? Bellamy ? Finn ? Octavia ? Le chancelier ?
Tant de questions qui n'allaient pas trouver réponse dans l'immédiat, puisque des grondements se firent entendre à l'extérieur. Il se tramait quelque chose d'important, et Clarke avait déjà pour habitude de courir vers ces événements.