Enfants Perdus - Alikalia

On ne sait jamais à quel point une rencontre va changer notre vie. Comment elle va lui faire prendre un tournant inattendu. Cela prend du temps, parfois des années. Au final, un beau jour, on regarde la personne et on ne peut imaginer finir sa vie sans sa douce et rassurante présence à ses côtés. Parfois on ne se rappelle même plus de la première rencontre, après tout ce pouvait être au coin d’une rue, juste un regard fugace. Personnellement je m’en rappelle. Je m’en rappelle même très bien, le moindre détail inscrit dans ma mémoire, au chaud et à l’abri dans mon esprit.

Une légère brise courait dans les rues de Polis, soulevant quelques mèches de cheveux, jouant avec les tissus. Claude marchait d’un pas pressé, essayant de rester à la même hauteur qu’Anya. Elle n’était pas particulièrement pressée, mais ne se sentait pas à l’aise au milieu de la foule. En cet après-midi ensoleillé les rues débordaient de monde, des voyageurs, des marchands, des flâneurs, des soldats. Trop de personnes, trop de danger, trop de bruit, trop de choses à surveiller en même temps. Mais, malgré l’agitation, quelque chose, ou plutôt quelqu’un attira son regard. Au milieu de la foule, une femme, brune, seule et en panique. Un cercle de vide autour d’elle, comme si les gens esquivaient sciemment ses soucis. Les gens l’ignoraient, plongés dans leurs occupations, leurs vies. De toute manière ils ne voudraient sûrement pas gâcher leur après-midi à aider une inconnue, elle ne leur apporterait peut être que d’autres problèmes. Anya s’arrêta brusquement, Claude faillit percuter son dos mais freina à temps. La Trikru regarda un moment l’inconnue. L’aider ou non ? Elle n’avait rien à faire, rien d’urgent du moins.

"Chef ? Brom nous attend. Il est déjà pas de bonne humeur alors si en plus on arrive en retard…"

Anya jeta un rapide regard vers le jeune soldat. Effectivement elle avait une réunion avec deux de ses lieutenants. Des questions de patrouilles et de recrutements à régler. Rien de pressant.

"Va le prévenir que la réunion est reportée à ce soir."

Claude ne protesta pas et partit en courant. Anya se rapprocha de la brune paniquée. Elle semblait chercher quelque chose.

"Mademoiselle ? Je peux vous aider ?"

La panique servait rarement à quelque chose, elle empirait la situation généralement. La jeune brune ne résoudrait pas ses problèmes en continuant de s’agiter ainsi. Anya l’écouta attentivement, comprit mieux son état et que ce ne serait pas facile de l’aider, ou même de la ramener à un état plus serein. Perdre de vue des enfants aussi jeune devait effectivement être atroce. Surtout dans une ville aussi grande, aussi vaste, aussi agitée, où il était si facile, pour les nouveaux venus, de se perdre. A vrai dire, là tout de suite, Anya ne voyait pas vraiment comment retrouver deux gosses. Enfin si. Le début d’une idée émergeait, ce serait peut être la seule qui marcherait.

Leurs regards se croisèrent enfin. Mais la jeune inconnue sembla perturbée. Anya sentit, chez la brune, une nervosité soudaine se rajouter à la panique. Une nervosité dont elle ne comprenait ni l’origine, ni la raison. Doutait elle de ses capacités à l’aider ? Non, dans ce cas c’aurait été autre chose que de la nervosité. Anya haussa intérieurement les épaules, regardant la brune en silence, réfléchissant à comment, le plus rapidement possible, retrouver les jumeaux. Elle s’apprêtait à proposer quelque chose, mais l’inconnue, paniquée et en plus nerveuse maintenant, reprit la parole. Alikalia… Anya ne put s’empêcher de penser que c’était un joli prénom, qu’il lui allait plutôt bien. De mémoire l’ambassadeur de Yujleda n’était pas arrivé il y a très longtemps, du moins pas assez pour que sa femme connaisse la ville. Cela n’aidait pas… Presque inconsciemment Anya se rapprocha un peu, et posa une main rassurante sur le bras d’Alikalia. En général, pourtant, elle évitait le contact physique avec autrui. Mais là, inexplicablement, elle voulait essayer de rassurer la jeune femme, lui prouver physiquement qu’elle n’était pas seule.

"On va les retrouver, je vous le promets. Je connais bien la ville, ils ne peuvent pas être bien loin. Mais juste reprenez votre calme, ça ne sert à rien de paniquer. On va les retrouver, ca va aller."

D’une voix qu’elle essaya de rendre la plus rassurante et douce possible. Pas facile quand on a plus l’habitude de crier des ordres que distribuer des mots doux.

Une vieille dame au visage toujours souriant, une étincelle de malice dans les yeux. Le genre à vous détroussez dès que vous avez le dos tourné. Personne ne connaissait son identité, jamais personne la connaitrait, tout le monde l’appelait juste « la vieille dame ». Une vieille dame connaissant Polis comme sa poche, les moindres ruelles, les moindres recoins. Une vieille dame sachant absolument tout ce qui se passait dans la capitale, le moindre mouvement, la moindre chose inhabituelle. La personne parfaite pour retrouver des jumeaux. Evidemment ses services n’étaient pas gratuits. Mais heureusement elle devait une faveur à Anya. Il fallait juste réussir à la trouver…

Alikalia prit une grande inspiration, fermant les yeux un bref instant. En les rouvrant elle semblait un peu plus calme qu’avant, elle ne pouvait pas être encore plus paniquée de toute manière. Ah oui se présenter… Anya avait un peu oubliée, occupée à trouver un moyen et pour calmer la jeune ambassadrice et pour retrouver les jumeaux rapidement. La Trikru retira rapidement sa main du bras de la jeune brune, semblant remarquer son geste et sa portée. Elle n’aimait pas particulièrement le contact humain mais… oui peut être que cette fois elle aurait aimé laisser sa main. Il y avait quelque chose chez Alikalia… Peut être dans le regard ou la présence. Anya se secoua mentalement. Non c’était juste une jolie jeune femme, rien de plus, une parmi tant d’autres.

"Oui bien sûr, je m’appelle Anya, cheffe de guerre du Trikru. Donc oui je connais bien la capitale, et aussi une personne qui pourrait nous aider à trouver vos enfants. Elle sait tout ce qui se passe aux alentours, elle les aura forcément vu."

Peut être que son titre allait la rassurer un peu. Alikalia aurait pu tomber sur quelqu’un avec moins de contacts et d’influences, ou pire, un étranger aussi perdu qu’elle. Anya regarda aux alentours rapidement, la vieille dame trainait souvent sur la place du marché à cette heure-ci, alors peut être qu’elle s’y trouvait en ce moment même. La Trikru fit signe à la Yuljedienne de la suivre et s’engouffra dans une ruelle adjacente en direction du marché, à dix minutes de marche à peu près, un peu moins d’un pas rapide.

"Venez et faites moi confiance. On retrouvera vos enfants dans peu de temps."

Si les rues débordaient de monde, le marché semblait sur le point d’exploser. Des commerçants étaient présents évidemment, mais aussi des membres de la Garde, des mères de famille, des mendiants, des voyageurs… et plein d’enfants. Des gamins qui slalomaient entre les jambes des adultes, cherchaient parfois à chaparder quelque chose, se cachaient derrière leurs mamans. Mais à première vue aucun jumeaux. Aucun qui ne faisaient des bêtises, ou jouaient les casse-cous. Ce qui serait sûrement le cas s’ils avaient, comme le disait Alikalia, autant la fâcheuse habitude de se mettre en danger.
Dans un recoin se trouvait une grande tente ouverte, une tâche insolite au milieu de tous les étals. Une vieille dame assise devant. La vieille dame. Anya se dépêcha de la rejoindre, traversant tant bien que mal la foule, vérifiant régulièrement qu’Alikalia la suivait toujours, ne s’était pas perdue. Dans la tente on pouvait apercevoir des jumeaux bruns. Un adolescent en haillons accaparait leur attention avec un numéro de magie. Anya n’eut pas le temps d’interroger la Yuljedienne que la vieille dame se jetait dans ses bras. La Trikru eut un mouvement de recul mais ne réussit à se débarrasser de la vieillarde, trop déterminée à lui faire un câlin.

"Faut que tu arrêtes de disparaître ! Je m’inquiète après ! Qui sait ce qui aurait pu t’arriver ? Avec les méchants Azgeda dehors en plus !"

Disparaître… Tout de suite les grands mots. La vieille dame la lâcha enfin et la regarda avec tendresse, avant de jeter un coup d’œil vers les jumeaux.

"Tu dois être là pour eux. Damien les a trouvé dans une ruelle plus loin, ils essayaient d’escalader une maison… Il a préféré les ramener ici et les occuper le temps qu’on retrouve les parents."

Anya acquiesça doucement, même si elle ne le montrait pas elle était contente d’avoir pu retrouver les petits aussi rapidement, et indemne en plus. Elle observa Alikalia discrètement, la laissant retrouver ses enfants.

Les émotions ne se contrôlaient pas aisément. Il fallait beaucoup d’entrainement et de volonté pour les garder sous contrôle en permanence, ne pas se laisser déborder. Alikalia laissa ses enfants goûter encore à la liberté et se tourna vers Anya. La Trikru n’eut le temps de comprendre ce qu’il se passait, les lèvres de la Yuljedienne étaient déjà contre les siennes. La cheffe de guerre ferma instinctivement les yeux le temps du court baiser. Une part d’elle, celle qui avait pris l’habitude de se taire au fil des années, celle qui espérait toujours secrètement aimer à nouveau, essaya d’en profiter un maximum, se retenant de justesse de le rendre ou d’en tenter un deuxième. Ce fut agréable, trop même. Anya recula d’un pas, mettant une distance de sécurité entre elle et Alikalia. La brune semblait tout aussi gênée. Ce devait être pire pour elle, après tout elle était mariée. Elle fuyait son regard ce qui arrangea Anya. Elle ne voulait pas que l’ambassadrice voie son trouble, trop présent et important pour être dissimulé correctement. Heureusement la vieille dame regardait les jumeaux et Damien en souriant. Elle n’était pas du genre à colporter des rumeurs, du moins pas sur les gens qu’elle appréciait, mais tout de même. Malheureusement une voix retentit, une voix bien connue, figeant Anya sur place. Une voix calme. Beaucoup trop calme.

De son long voyage Lexa était rentrée depuis peu. Enfin non… Cela faisait déjà un mois. Mais les responsabilités avaient le don, ou le malheur, de faire s’écouler le temps très rapidement. L’Heda et la cheffe de guerre n’avaient pas encore eu le temps de se revoir. Et évidemment les retrouvailles devaient avoir lieu après ce moment très gênant avec Alikalia. Moment troublant que Lexa interprétait d’une autre manière. Pas la bonne. Et son ton de voix fit facilement comprendre à Anya qu’Heda bouillonnait de l’intérieur. Et quand Lexa s’énervait il valait mieux ne pas être l’objet de sa fureur, ou alors se cacher quelque part, loin très loin. Anya salua Lexa d’une inclinaison rapide de la tête, lui lançant le fameux regard « ce n’est pas ce que tu crois ». Mais il faudrait plus qu’un regard pour calmer Heda.

"Heda. Les jumeaux de la femme de l’ambassadeur Yuljedien ont échappé à sa surveillance. Je l’ai simplement aidé à les retrouver. Et sous le coup de l’émotion elle… Je n’ai fait que mon travail pendant votre absence. D’ailleurs votre voyage s’est bien déroulé ?"

Anya préférait vraiment ne plus parler de ce baiser. Elle voulait juste l’oublier, lui et l’ambassadrice. Elle avait retrouvé ses enfants donc elle n’avait plus besoin de son aide, si ? Dans tous les cas Lexa ne lâcherait pas l’affaire si facilement...