▲ We are Grounders Pt.1 (Event)

Le groupe semble agité. Les autres autour de moi perdent peu à peu leur sérénité. Quand une autre flèche traverse l'air pour aller se perdre hors de ma vue, je vois le garçon près de moi se crisper sur son arme. Ses mains serrent si fort le métal que je peux presque l'entendre couiner. Je l'observe pointer la forêt, doigt sur la gâchette, mais seulement un court instant car Anthime demande mon attention. J'en ai eu marre d'appeler mon amie « feuille », alors je lui ai demandé son prénom, et comme elle ne m'a pas répondu, j'ai décidé de la nommer moi-même. J'aime bien Anthime, et j'aime bien penser que ce prénom lui va bien, à mon amie, car c'est vrai qu'elle me protège d'une manière un peu surnaturelle. Au moins, avec elle, je suis protégée de la solitude et de l'ennui. Au début, j'avais peur de confondre Anthime avec une autre feuille et de l'empaller sur ma flèche, mais Anthime n'est pas comme les autres, elle n'est pas une feuille morte quelconque, je ne peux donc pas la confondre. Je sens le groupe se regrouper en un seul groupe parce que quelqu'un du groupe a tiré un coup de feu. Je pensais que c'était juste dans ma tête, mais en fait ça s'est bien produit. Les autres se crient dessus à tour de rôle, je n'ai pas le courage d'écouter, surtout que la plupart des voix viennent de l'autre bout du groupe. Au lieu de ça, je décide de m'asseoir un peu. Je pose ma flèche sur mes jambes et décide de nommer un chef de ces feuilles. Il en faut bien un, je ne serai pas toujours là pour les surveiller et je ne suis pas très fan de l'anarchie. Je regarde les feuilles une à une et soupire. Comment n'y ai-je pas pensé directement ? Avec une moue honteuse, je proclame Anthime reine des feuilles mortes. Anthime est unique, elle a toujours été spéciale. J'ai toujours vu quelque chose en elle et je viens seulement de réaliser ce qui la rendait si différente des autres : elle est née pour être reine.

Je la félicite (en pensées, pas à voix haute, on va encore me prendre pour une folle sinon et j'ai pas envie qu'on me tire dessus par accident en me prenant pour un ennemi ou une bête sauvage, ou quelque chose de plus effrayant encore) et me relève en sentant des personnes approcher derrière moi. Le groupe repart prudemment. Je reprends la marche aussi. Je fais attention à ma flèche, mais surtout à Anthime. Je ne voudrais pas que la reine meure à peine couronnée. Je la mets dans le creux de ma main et m'assure qu'elle ne se froisse pas. Une reine n'est jamais froissée ! Je ne la lâche pas du regard. Je fais attention à tout : à mes doigts qui la tiennent, à ses petites nervures frileuses, au vent qui n'attend que de l'envoyer loin de moi, aux petits insectes qui pourraient vouloir la dévorer. Tout ce qui la concerne elle, mais pas ce qui me concerne moi. Du coup, j'ai pas vu la chose par terre (je sais pas exactement si c'est une branche ou une racine, mais quelque chose comme ça) et me suis prise le pied dedans. J'ai tout de suite lâché la flèche et ramené ma seconde main en cloche sur celle qui gardait Anthime pour protéger celle-ci. Pliée en deux, sur le point de m'écraser sur le sol, je cogne violemment le dos du garçon anxieux de tout à l'heure, dont l'arme est toujours pointée sur les arbres de la forêt. Je ne vois pas pourquoi il vise vers les arbres, ceux-ci ne lui ont rien fait, et ça doit quand même faire mal pour un arbre de se prendre une balle, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. En fait, je ne sais pas trop ce qui s'est passé. Je l'ai bousculé, je suis tombée, un son grave a retenti et un truc a filé dans l'air. Je ne suis pas bête non plus, je sais que c'est une balle, et je commence un peu à regretter de ne pas avoir pu me surveiller aussi en plus de surveiller Anthime. Au fond, c'est peut-être Anthime qui devrait me surveiller.

« Je suis vraiment désolée ! Je ne voulais pas te bousculer ! » je lance au garçon qui maugrée déjà.

Assise par terre, je vérifie qu'Anthime et son royaume vont bien avant de me relever. On me crie après mais je ne peux pas réparer le mal fait. Une balle est partie vers le lointain, et j'espère qu'elle ne va faire de mal à aucun arbre, parce que je m'en voudrais si j'avais blessé un parent d'Anthime. Mais mon amie me connaît déjà bien, je sais qu'elle saura me pardonner ma faute.

Je suis prête à me relever mais m'arrête quand je vois un truc tomber à côté de moi. Ce truc a failli toucher le garçon à l'arme. Je le regarde de plus près et me rends compte que c'est pas vraiment un truc, c'est plutôt une chose, parce que les trucs c'est moins utiles que les choses et cette chose est un couteau, ce qui peut quand même s'avérer utile. Je ramasse l'objet, reprends ma flèche, mets Anthime en sécurité et me lève. Je regarde les gens commencer à courir et aperçois des trucs tomber du ciel. Des flèches. Je me serais mise en marche si on ne m'avait pas bousculée. Et en plus on me crie dessus. Les gens ici sont vraiment méchants. Je me tourne vers la fille qui m'a poussée. Je crois l'avoir déjà vue plusieurs fois mais comme je m'en fiche pas mal des autres je ne connais pas son prénom. C'est vrai, si les autres ne sont pas gentils, alors ils ne méritent pas que je me souvienne d'eux.

« Si t'avances pas au lieu de râler, c'est toi qui va te faire toucher. »

Je me mets en marche. Anthime me protège bien parce que je reçois aucune flèche. Je ne suis ni dans les premiers ni dans les derniers. Je peux rejoindre le camp tranquillement. Je profite de cette promenade pour ramasser quelques flèches car je les trouve jolies. En plus, y en a de différentes formes et de différentes couleurs. J'aime bien la diversité, sans ça on serait tous pareils et alors on s'ennuierait. Les objets commencent à peser lourd alors je décide d'abandonner les flèches en trop et garde la toute première récupérée, je la trouve plus jolie que les autres. Je glisse le couteau entre mon pantalon et ma taille, au moins je n'ai plus à le porter à la main. Une flèche transperce quelqu'un devant moi. La fille tombe au sol et je décide de récupérer son arme. Je ne suis pas bête non plus, je sais que c'est important de garder des munitions. Et puis, faudrait pas que les ennemis tombent dessus. De toute façon, on peut plus rien pour la fille. C'est une petite aux cheveux noirs. Je vois ses yeux noisettes se fermer. Une flèche en plein cœur, ça tue.

Je veux vérifier s'il reste des balles dans l'arme. C'est ce que les gens font normalement, non ? Du coup, je tire vers les arbres en espérant ne pas toucher les parents d'Anthime. C'est ma seule préoccupation. Je tire et me remets en marche. Ça me fait bizarre d'utiliser une arme à feu comme ça, mais j'avoue que c'est pas désagréable comme sensation. C'est comme lancer des trucs mais de manière plus efficace. Je m'arrête de tirer pas loin de l'entrée du camp parce que j'en vois plus l'intérêt. Je commence même à me lasser. Mais au moins, je suis rentrée au camp, là où mon tas de feuilles mortes m'attend sagement.