Négociation - Lexa, Ankara, Anya

C'était sûrement un mauvais rêve. Dans un instant, elle se réveillerait au Mont Weather, captive. Et si ça n'était pas réel non plus, elle ouvrirait les yeux sur le mur décoré de sa cellule, un dessin de la forêt dressé en face d'elle. Serait-elle déçue ou soulagée d'apprendre que tout ce qu'elle avait vécu jusqu'ici était faux ? Elle ne saurait quoi penser. Elle ne savait quoi penser. Elle marchait, Ankara à ses côtés, les portes du Camp derrière elles. Elle avait libéré la native peu de temps après avoir appris la nouvelle. Finn était détenu par les natifs.
Clarke avait eu tant d'espoir à la sortie du Mont. Elle avait esquissé un plan de paix avec les deux cheffes de guerre et était revenue auprès des siens avec une alliance au bout des doigts. Cette dernière lui avait glissé des mains et Clarke peinait à percevoir un dénouement positif. Finn avait commis des atrocités dont Clarke elle-même ne se voyait capable. Et pourtant... elle avait du sang sur les mains. Son évasion du Mont n'avait pas été sans conséquence. Quoi qu'elle fasse, Clarke sèmait la mort sur son passage. Comment pouvait-elle juger Finn alors qu'elle était toute aussi dévastatrice ?

Il lui fallait arrêter de penser. Elle pensait toujours trop, envoyant à son coeur un raz-de-marée d'émotions qui la faisait chavirer. Devant la tente la plus imposante de toutes celles récemment dressées, les gardes les regardaient arriver. Ils se préparaient déjà à les laisser passer. La présence d'Ankara, vivante et libre, facilitait le processus. Il ne fallut que quelques secondes aux gardes pour vérifier que Clarke n'était pas une menace et ils autorisèrent les deux jeunes femmes à pénétrer les lieux. Clarke reçut quelques regards dédaigneux et un commentaire menaçant de l'un des hommes qui gardaient l'entrée. Fait ne serait-ce que la regarder de travers et je te coupe la gorge. Clarke déglutit à la violence des mots et retint une réponse évidente. C'est déjà fait, voulut-elle dire. Elle avait déjà rencontré la cheffe native, l'avait déjà insultée à mi-chemin de l'inconscience, et s'était même laissée réconforter. Si elle avait su...
Mais elle n'avait pas su. Elle devait cesser de penser à ces moments passés dans la forêt. La femme qu'elle s'apprêtait à rencontrer n'avait rien à voir avec la femme des bois. Cette dernière, Clarke ne la reverrait sûrement jamais. C'était peut-être mieux ainsi. Voilà la conviction qu'elle s'infligea en entrant.

Elle avait cru ne jamais la revoir, et même avec un temps d'accoutumance à l'idée qu'elle allait devoir négocier avec elle, Clarke avait du mal à se faire à l'idée que la femme des bois se trouvait devant elle. Le visage froid, le regard perçant, la Commandante était là. Il n'y avait plus aucune trace de la femme des bois. Plus aucune trace de femme. L'être qui s'adressait à Clarke se voulait impressionnant, surplombant toute l'audience, mais la jeune cheffe archéenne ne pouvait se montrer impressionnée. Elle cachait sa déception. Elle aurait voulu revoir ne serait-ce qu'une lueur de la femme qu'elle avait rencontrée dans la forêt, croire que, malgré le fait que la cheffe native l'avait délaissée sur ses terres, il y avait encore du bon en elle. Clarke voulait déposer son espoir en quelqu'un après avoir été déçue, trahie par les siens. Sa mère, Finn... l'inconnue de la forêt... les deux peuples cachaient des traîtres, et Clarke, dépitée, s'était surprise à se jouer d'un montagnard. Elle n'avait jamais réussi à faire confiance à qui que ce soit au Mont, mais elle était convaincue qu'ils n'étaient pas tous mauvais. Josh était mort pour elle et les deux natives. Joseph l'avait renseignée un peu plus qu'il n'en avait eu le droit. Madison était bien trop innocente pour avoir quoi que ce soit à voir avec les manipulations des chefs du Mont. Il n'y avait pas que de personnes mal intentionnées au Mont, elle en avait eu la preuve, tout comme elle aurait aimé conserver la preuve offerte par la femme des bois sur l'innocence au sein des natifs. Mais il n'y avait rien. Clarke dérangeait plus qu'autre chose. Personne ici ne voulait de sa présence, mais elle n'allait pas partir pour autant.

Clarke ne bougea pas. Ankara s'était accroupie face à sa cheffe. Les natifs tout autour en voulaient sûrement à Clarke de n'avoir pas montré le même respect, mais puisqu'ils ne semblaient pas avoir été inculqués la notion de respect, cela ne dérangeait pas Clarke. Elle était venue avec une idée en tête, elle allait faire ce qu'elle devait faire. Elle n'abandonna pas la confrontation que représentait le regard de Heda dans le sien. Heda... ce n'était même pas un prénom... à croire que cette fille n'en a pas...
- Je ne suis pas venue pour des félicitations, claqua-t-elle.
Elle pensa à baisser d'un ton, mieux valait ne pas se mettre l'audience à dos. Par ailleurs, cette audience était crispée et prête à lui sauter à la gorge. Elle avait pourtant sauvé deux de leurs camarades ! L'ingratitude était définitivement répandue dans toutes les sociétés. Clarke hésita un instant. Le poignard qui servait de distraction à la cheffe native avait un côté fascinant qui donnait envie à Clarke de s'arrêter pour le regarder bouger entre les doigts fins de sa détentrice. Elle n'était pas là pour ça.
Une vie était en jeu. Si Anya avait dû expliquer les fourberies du Mont à Heda, cela devait être encore très flou. Si Joshua leur avait expliqué, il avait dû faire preuve de courage. Il y avait bien des termes qui échappaient aux natifs, Clarke l'avait remarqué lors de ses discussions avec Ankara dans la forêt. Les technologies du Mont ne pouvaient être vaincues que par les Archéens. Comparée à Ankara, Anya, qui aimait la dédaigner du regard, ne voulait pas réellement admettre que l'aide de Clarke et son peuple était nécessaire pour vaincre le Mont Weather. Pourtant, les natifs se faisaient écraser par le Mont depuis des décennies... il leur fallait sérieusement se remettre en question.
- J'ai appris les actes commis par l'un des nôtres à mon retour, commença Clarke en tâchant de garder ses émotions enfouies dans son buste. Elle ne devait pas laisser paraître sa relation avec le concerné. Cette relation complexe que Clarke risquait de perdre sans avoir eu la possibilité de la dénouer... Nous comprenons la douleur que vous ressentez à ces pertes, nous avons nous-mêmes nos propres deuils. Vous réclamez la vie de Finn, quand nous tous pourrions en sauver des centaines de nos peuples. Vous en avez la preuve, les montagnards gardent les vôtres prisonniers par centaines et utilisent leur sang en cure contre les radiations. J'ai parcouru le Mont, échangé avec eux, découvert leurs coutumes et leurs technologies. Je peux assurer que mon peuple est capable de détruire la montagne, mais nous manquons d'effectifs. Vous voulez autant que moi sauvez les vôtres, alors arrêtons de nous battre. Chaque goûte de sang que nous faisons couler ici est un litre de sang pompé des veines de vos frères.
Son discours était long mais, Clarke l'espérait, convaincant. Elle utilisait le Mont en diversion pour tenter de sauver la vie de Finn et espérait que cela fonctionne sur la cheffe native. Finn ne pouvait pas mourir maintenant. Pas alors qu'ils avaient encore tant à se dire. Clarke l'avait presque pardonné avant son enlèvement et les événements suivants lui avaient fait comprendre que la rancoeur était inutile ici-bas. La mort rôdait bien trop pour en vouloir aux êtres aimés.

Le destin de Finn avait déjà été négocié en son absence, elle en avait conscience, mais Clarke refusait de prendre cette négociation pour acquis. Ni Kane ni Abby n'était en charge de Finn, encore moins des Cent. Ils avaient voté, avec le reste du Conseil, le rejet de la centaine de délinquants sur Terre. Clarke se sentait responsable du sort de ceux qui l'avaient suivie. Finn le premier. Elle avait espéré comprendre ses sentiments à son égard lors de son séjour au Mont, et l'absence de sentiments pour Remington l'avait aidée à se décider : elle voulait laisser sa chance à Finn. Ils étaient à un pied d'égalité désormais, tous deux trompés, tous deux déchiffrant l'affection qu'ils se portaient. Clarke avait espéré pouvoir en discuter avec lui une fois son retour au camp, mais elle avait trouvé une sentence de mort à la place de Finn. Elle l'avait cherché et n'avait trouvé que la désolation. Le massacre qu'il avait commis au village natif de Tondc l'avait horrifiée et lui laissait un doute et une culpabilité poignante. Finn avait-il toujours eu l'âme d'un meurtrier ? Le jeune homme avait pris le blâme à la place de sa petite-amie pour lui sauver la vie et se retrouvait maintenant coupable du meurtre froid de dix-sept natifs... était-ce Clarke qui l'avait rendu ainsi ? Elle avait amené Joshua à sa mort pour pouvoir s'enfuir... les balles de la montagne auraient dû la toucher elle. Ou l'une des deux natives, les deux guerrières qui se montraient encore quelque peu réticentes à la paix entre les peuples du ciel et de la terre. La balle aurait pu toucher Anya, la plus réticente... Clarke déglutit. Ses pensées étaient désespérées et elle se surprit à vouloir remplacer les morts. Elle était pire qu'elle ne l'avait imaginé. C'est là que l'idée lui vint. Les fils de ses pensées détachées se lièrent au centre de son esprit. Toutes les personnes mortes depuis son arrivée sur Terre... toutes lui revenaient. Sur son chemin, les corps s'étaient écroulés les uns après les autres pour une action qu'elle avait ou n'avait pas commise. Finn n'aurait jamais commis le massacre si elle avait pu rejoindre le camp avant, si elle avait pu prévenir qu'elle était encore en vie, si elle n'avait pas pour habitude de se mettre autant en danger, comme lors de son escapade dans la forêt, ce jour où Finn l'avait retrouvée inconsciente dans le bunker.

Il l'avait pensée morte. Il avait voulu la venger. Il l'aimait, et elle n'avait fait que gâcher ce lien. Il allait mourir par sa faute tandis que Clarke continuerait à faire tomber les hommes sur son chemin. Des cadavres qui perdraient leurs visages, leurs noms, après que l'ombre de Clarke Griffin les ait survolés.
- Vous voulez Finn, dit-elle sèchement, le regard vague perdu dans le vide.
Elle avait déjà pris sa décision. Finn avait voulu la trouver, la venger, quitte à se sacrifier pour elle, mais elle pouvait encore se sacrifier pour lui. Son regard se teinta d'une lueur sombre, la lueur de l'amertume, teintée de culpabilité.
- Vous pensez que sa mort vengera vos défunts. Vous vous trompez. Tuer Finn ne changera rien. Vous voulez votre coupable, vous voulez celui qui a plongé ses mains dans le sang des vôtres, vous l'avez devant vous.
Son regard froid perça celui, similaire, de la cheffe native. Clarke ne pensait plus qu'à sauver la vie de celui qui avait sauvé la sienne à plusieurs reprises. Elle se rassura en se rappelant la présence de sa mère et de Kane sur Terre. Son peuple avait ses représentants. Clarke n'était plus utile désormais.
- Vous me remerciez pour avoir sauvé vos deux guerrières, c'est inutile, je l'ai fait uniquement dans le but d'obtenir une trêve. Pendant ce temps, Finn me cherchait. Il vous a vus m'enlever, il me pensait morte. Ces morts sont en mon nom, tout comme chaque vie native prise par la main de l'un des miens. Sans moi, ça ne se serait jamais produit. Vous voulez mettre un terme à cette boucherie ? Prenez-moi. Pas Finn. Pas mon peuple entier. Moi. Je suis la seule coupable.
Elle avait réussi à parler sans laisser sa voix trembler. L'espoir d'obtenir une alliance et de voir les siens délivrés du Mont lui avait donné le courage nécessaire pour déclarer ses aveux sans faillir. Elle espérait simplement que la cheffe en face d'elle se montrerait suffisamment forte pour accepter.

Finn avait tenu l'arme qui avait mis fin à la vie de dix-sept personnes. Clarke avait causé bien plus de mal que ça par ses actions moins explicites au meurtre, mais d'autant plus graves. Ils voulaient prendre Finn alors qu'il n'était rien comparé aux meurtriers de l'Arche, ceux qui avaient commis le plus d'erreurs et qui étaient coupables des pires atrocités que la commandante en face d'elle ne pouvait certainement pas imaginer. Comment le pourrait-elle ? Elle n'avait jamais été dans l'espace. Elle n'avait pas regardé cette obscurité vide dans les yeux. Celle qui vous rappelait qu'au moindre faux pas la mort vous attendait. Combien de personnes avaient été ainsi injustement exécutées par le Conseil ? De combien de meurtres le Conseil pouvait justifier ? Moins de dix-sept. Finn avait commis des meurtres injustes, mais il n'était pas le vrai meurtrier. Le sang de Clarke bouillait dans ses veines. On lui demandait de laisser l'un des siens mourir alors que de véritables criminels foulaient leurs terres. Elle-même avait tué dans la guerre, mais ils se fichaient de cela, ils voulaient le premier type à avoir voulu la paix, et Clarke comprenait des réponses des natives qu'il n'y avait plus rien à négocier. Ils voulaient Finn, elle ne pouvait le leur donner. C'était au-dessus de ses forces. Ses sentiments pour le jeune homme l'empêchaient de faire un tel sacrifice.

Sans baisser les yeux une seconde face à la femme des bois, Clarke hocha la tête. Ils voulaient Finn, ce n'était pas elle qui allait le leur donner.
- Eh bien, je ne l'ai pas dans ma poche. Si vous le voulez, venez le chercher, cracha-t-elle, ferme mais dépitée, avant de tourner les talons pour sortir de la tente.
Elle préférait partir avant de laisser ses nerfs la lâcher. Encore une vie à laquelle elle tenait menacée, encore une perte à venir, et tout ça pour quoi ? Une paix friable. Il n'était pas dit que la paix tiendrait. Combien de personnes allaient encore mourir pour une alliance militaire ? Combien de personnes allaient mourir pour que d'autres meurent et que seule une petite partie soit sauvée ? Tout ça dépassait Clarke. C'est dans ces moments-là que le rôle de cheffe lui sortait par les yeux. Et encore... cheffe... Kane l'avait devancée dans les négociations alors qu'il venait tout juste d'arriver sur Terre. Elle avait rencontré la cheffe native en première, elle aurait dû être celle qui lance la première négociation. La sentence de Finn aurait pu être évitée si Clarke avait parlé à la cheffe avant.
Elle souffla un coup fort. Elle était fatiguée. Lassée. Quoi qu'elle fasse, la mort revenait condamner les siens.