Chopa - Rakal

Anya crut pendant un instant que le teint du jeune Rakal devenait plus blanc. Mais cette impression ne dura pas. Même s’il hésita, brièvement, il attrapa rapidement une flèche et se mit en position de tir. Anya comprenait son hésitation. Il n’avait encore jamais tué d’animaux et mettre fin à la vie d’un être vivant, pour la première fois, c’était passer un cap important. Elle l’observa viser la cible, aperçut quelques erreurs mais ne dit rien. Elle ne voulait pas déstabiliser son élève, risquer de le déconcentrer. Elle lui montrerait un peu plus tard comment ne pas refaire les même erreurs. La flèche n’effleura pas le loup, elle se planta non loin. L’animal craintif prit immédiatement la fuite, comprenant sûrement qu’il risquait sa vie à rester plus longtemps au même endroit. La déception se lisait sur le visage de Rakal. Anya lui tapa affectueusement l’épaule en se relevant.

« Pas grave. Tu feras mieux la prochaine fois. »

Elle espérait qu’il blesse, au moins légèrement, le prédateur mais tant pis. Dès qu’il avait commencé à utiliser un arc il avait été clair qu’il ne serait pas le meilleur archer de sa génération. Tant qu’il savait se battre avec une épée, ça convenait à Anya.
Le loup s’était enfui vers le nord, à l’opposé du village. Anya avança vers le ruisseau, prête à reprendre la traque. Mais un petit bruit presque inaudible attira son attention. Elle se retourna et vit une boule de poils sortir d’un terrier. Le très jeune louveteau s’empêtra dans ses propres pattes et roula un peu plus loin. Un second louveteau, presque un adulte, pointa le bout de son museau hors de sa cachette, mais il n’osa pas sortir, reconnaissant l’odeur peu rassurante des humains. Anya posa la main sur le pommeau de son épée, prête à les éliminer.

La mère louve ne devrait pas poser de problèmes avant un petit moment. Petit certes mais largement suffisant pour éliminer les menaces restantes. Le jeune adulte ne devrait pas poser de soucis, il ne montrait même pas les crocs, se contentant de rester caché. Le louveteau, lui, n’avait même pas conscience de la menace. Non, vraiment, aujourd’hui ce n’était pas eux les prédateurs, si tout se passait bien ils ne le seraient jamais. Deux coups d’épées et le tour serait joué. Quant à la mère… elle reviendrait au terrier pour s’assurer que ses enfants aillent bien. Attendre cachés non loin, tirer une flèche et elle les rejoindrait. La stratégie était claire dans l’esprit d’Anya, elle allait la mettre en application, elle devait la mettre en application. Elle s’avançait vers le terrier, dégainant de quelques centimètres son épée. Le jeune adulte devait être éliminé en premier, s’il sentait le sang de son frère il pourrait devenir dangereux. Mais une voix un peu tremblante interrompit l’avancée d’Anya. Son second remettait en cause ses agissements. Son second d’à peine neuf ans l’interrogeait sur le bien fondé de ses actions. Elle se retourna l’air interdite, lâchant son épée qui retomba dans le fourreau. Rakal tenait le louveteau dans ses bras, les deux avaient l’air totalement innocent, le bébé loup en particulier. Il ne comprenait sûrement pas à quel point sa vie ne tenait qu’à un fil. Un fil très mince. Car que pouvait Rakal contre son mentor ? Techniquement elle était son supérieure et il devait se contenter de suivre les ordres. Mais il était jeune et son second depuis peu, elle pouvait accepter un écart. Anya comprenait aussi le point de vue du garçon. Effectivement cela pouvait paraître cruel de tuer des bébés loups. Cruel mais nécessaire. Un mal nécessaire. Elle se baissa légèrement pour être à la hauteur de Rakal.

" Ecoute. Là ils ont l’air mignons, innocents, incapables de faire du mal à une mouche. Mais plus tard ce seront des prédateurs, des tueurs comme leur mère. On doit les tuer. De toute manière le bébé ne tiendra pas longtemps sans sa mère. "

Un louveteau utile au clan…. A part pour énerver les chiens, effrayer les chevaux… Il amuserait peut être les enfants pendant un temps. Mais quand il deviendrait adulte ? Qu’en faire ? Son côté prédateur reprendrait le dessus à un moment ou autre, il redeviendrait la menace qu’il n’avait jamais cessé d’être. Et il faudrait l’abattre. Donc l’amener dans le village c’était seulement repousser l’exécution. Rakal voulait garder le petit à ses côtés, cela s’entendait dans ses propos, Anya pourrait presque le comprendre. En plus, avec un louveteau, le jeune second pourrait mieux apprendre à faire passer ses besoins après ceux d’un autre petit être, sûrement à le soigner également. Un bébé loup ça apprend la vie en se blessant, comme tous les bébés. Rakal apprendrait également à faire encore plus attention à l’autre. Oui, il pourrait récolter beaucoup d’enseignements si le petit loup restait avec lui…. Le regard d’Anya dériva pendant quelques secondes entre le bébé loup et le jeune second, hésitant à dire oui. Il y avait presque autant de côtés positifs que négatifs.

Un grognement sourd et menaçant retentit. Anya sentit une masse lourde la projeter sur le côté et tomba violemment au sol un ou deux mètres plus loin. Le souffle coupé, elle mit quelques secondes à prendre conscience du danger, bloquant inconsciemment du bras un coup de crocs. La vie sauvée par des réflexes acquis après des années d’entraînement. La mère louve se déchaîna sur la manche rembourrée, essayant d’atteindre la chair, d’éliminer ceux menaçant sa famille. Du coin de l’œil Anya aperçut le jeune loup sortir de la tanière. Il allait sûrement tirer courage de l’intervention de sa maman, et tenter de récupérer son petit frère. Ce qu’allait faire Rakal, la possible attaque ou, pourquoi pas, la fuite du jeune loup, Anya ne le vit pas, devant se concentrer sur la louve enragée. Un couteau de lancer habilement, quoique difficilement, récupérée. Un coup rapide et sec dans le cou. Le flot de sang. La bête qui s’écroule. Rapidement repoussée sur le côté. Rester au sol pour l’instant le temps de récupérer.