▲ Journey to Freedom (Event)

Six heures. Clarke n'avait pas fermé l'oeil depuis sa dernière rencontre avec Joshua. Elle avait passé l'heure à réfléchir à toutes les éventualités possibles. Elle laissait passer mille scénarios, défiler multiples échecs devant ses yeux grands ouverts. Elle risquait beaucoup aujourd'hui, mais elle avait déjà failli tout perdre par le passé et ne pouvait s'arrêter maintenant. Cela faisait des jours qu'elle attendait le moment où elle mettrait le pied dehors, et cette fois elle était convaincue que ce serait la bonne, car une fois qu'on lui montrerait la sortie, elle ne s'arrêterait plus avant la liberté.
Même si, dehors, ce ne serait pas une mince affaire non plus. Elle s'était déjà faite attaquer sur le flanc du Mont Weather par des natifs - cette information était à rediscuter compte tenu de la situation du Mont - et risquait de voir sa liberté écourtée par une attaque surprise. Cependant, elle n'allait pas se défiler pour ça. Les natifs pouvaient se trouver partout, il était même possible qu'elle en croise dans la forêt, mais la dernière fois qu'ils l'avaient kidnappée, ils n'avaient pas cherché à la tuer - pas tout de suite du moins. Ils avaient besoin d'elle, de ses informations et de son statut en tant que cheffe présumée des délinquants. Elle avait déjà rencontré deux de leurs cheffes, même si la seconde n'avait été qu'une rencontre infortune.

Clarke traversa chaque couloir sans faire attention au lieu. Si ça devait être la dernière fois qu'elle les voyait, tant mieux, elle les avait déjà beaucoup trop vus. Elle avait cette lourde boule au creux de son ventre, celle qui laissait craindre à Clarke que tous ses proches avaient péri depuis son arrivée au Mont. Cela la suivait depuis un moment déjà, mais la boule grandissait de plus en plus alors qu'elle se rapprochait lentement du moment où elle verrait les choses par elle-même. C'est avec cette anxiété cachée au mieux que Clarke déboucha dans le couloir de Joshua. L'appartement du sergent n'avait pas été bien compliqué à trouver, et Joshua l'attendait dans le couloir. Clarke ne dit rien, elle se contenta de lui donner un regard assuré. Elle avait comprit qu'il ne voulait pas parler. Des adieux semblaient inutiles. Il n'en voulait clairement pas. Alors, elle s'arrêta là devant lui et attendit le début de son plan.

Clarke s'était attendue à être seule. Aucun de ses plans ne comptait un compagnon de route, alors deux natives ? Deux visages familiers. Tout d'abord, le visage bien connu d'Anya, la cheffe qu'elle avait rencontré en premier lieu, sur le pont. La tentative de paix avait échoué, et la relation entre les deux femmes n'était pas partie du bon pied. L'autre visage ne portait pas de prénom dans l'esprit de Clarke. Elle l'avait aperçu après avoir été enlevée, quelques jours plus tôt, avant de tomber dans l'inconscience. Elle s'était ensuite réveillée au Mont sans même savoir que les deux natives étaient ici. Et apparemment, elle allait devoir s'échapper avec elle. C'était donc ça le plan de Joshua ? Libérer plusieurs personnes des deux camps en même temps ? Comme quoi, il n'avait pas sympathisé qu'avec Clarke. Mais cela, Clarke s'en fichait. Elle se fichait aussi de devoir coopérer avec deux natives, Anya et une autre à l'allure tout autant pittoresque. Elle constata le look différent d'Anya, dont les cheveux avaient été coupés. Elle détourna le regard. Ce n'était pas le moment. Ils avaient bien des comptes à régler, mais s'il fallait en venir là, ils le feraient à l'extérieur, loin du Mont.

Joshua donna ses instructions et ils s'engouffrèrent dans les couloirs. Au départ, aucun bruit. Le silence régnait dans les couloirs du Mont encore endormi. Mais bientôt, un homme surgit, forçant les trois prisonnières à s'arrêter. Joshua ne réussit pas à faire diversion et tasa son collègue. Ils devaient continuer leur chemin, mais de nouveaux soldats l'entravaient. Alors, ils se mirent à courir dans les couloirs. Ils devaient rejoindre le niveau deux. Clarke ne s'y était jamais rendue, et elle espérait bien que ce serait la première et dernière fois qu'elle verrait cet endroit. Mais pour l'instant, il fallait courir. Clarke ne passerait pas un jour de plus ici.

Le coup de feu sembla rester coincé dans les oreilles de Clarke, bloquant l'accès de son esprit à la réalité. Le corps de Joshua s'effondra au sol sous les yeux ronds de la jeune femme. Cela ne pouvait pas arriver. Pas encore. Il l'avait aidée. Elle et les deux natives. Il les avait aidées et c'est lui qui se prenait une balle. L'espace d'une seconde, de cette seconde pendant laquelle le monde se figea et la balle s'installait confortablement dans le corps de Joshua, Clarke ne bougea pas. Elle fixait ça en hurlant intérieurement. Hurler au malheur, car peu importait ce qu'elle faisait, les êtres tombaient sur son passage. Etait-ce vraiment elle ? Etait-elle un porte-malheur ? Où était-ce seulement la réalité qui se foutait d'elle ?

Ils venaient tout juste d'arriver au niveau deux. Un garde avait surgi de l'ascenseur alors qu'ils avaient emprunté les escaliers pour fuir. Le bruit qu'avait envoyé l'arme en lâchant sa balle termina de vriller les tympans de Clarke et celle-ci se ressaisit. Elle saisit l'arme à feu qu'elle avait cachée à sa taille tout en se décalant pour éviter d'être la prochaine cible. Elle tira aussitôt, à peine le corps de Joshua avait-il terminé de s'écraser sur le sol. Elle fit feu plusieurs fois jusqu'à ce que le corps du garde tombe. L'avait-elle tué ? Aucune idée. Elle préférait ne pas savoir. Elle avait bien dû tirer quatre fois. Quatre tirs gâchés, mais qui allaient probablement les sauver.

Elle tomba à genoux à côté du sergent. Elle le mit dos à plat sur le sol et ouvrit son haut pour observer sa blessure. C'était un besoin pour elle, plus qu'un devoir. Elle devait toujours tenter de sauver les gens, et les blessures étaient son domaine de prédilection. Mais celle-ci, il était incertain qu'elle puisse la guérir. Aider Joshua, c'était mettre fin à son évasion et tout ça aurait été pour rien. Joshua pourrait même ne pas s'en sortir et Clarke serait restée là en vain.
- Josh... souffla-t-elle, perdue. Du grabuge se faisait entendre. D'autres gardes allaient arriver. Ils trouveraient Joshua. Clarke se leva, déterminée à prendre la meilleure décision pour tout le groupe. Les collègues du sergent n'allaient tout de même pas laisser Joshua mourir, non ? Sur cette note, Clarke se mit à courir avant qu'un autre soldat ne débarque.
- On doit y aller, fit-elle à l'attention des deux natives. Elle ressentait le besoin de les sortir d'ici elle aussi, puisque c'était la mission de Joshua et qu'il n'était plus en mesure de l'effectuer. A l'autre bout du couloir, une porte les attendait. Clarke n'était pas certaine que ce soit la bonne, mais elle fonçait, car les autres possibilités ne semblaient pas justes. En passant près du corps du garde sur lequel elle avait tiré, elle observa la poitrine se soulever de plus en plus doucement et se baissa pour trouver le badge du garde. L'arme au poing, le badge entre les dents, elle pénétra dans la pièce. Cette porte. Mais y en auraient-il d'autres ?
Tant pis. On y est. Ils devaient faire vite, quitte à se précipiter.

C'était hallucinant. Dans une grande salle se trouvaient entassées des cages qui accueillaient des hommes et des femmes. A priori, des natifs. Clarke entendit leurs plaintes sans pouvoir rien faire pour les aider. Ankara semblait résister difficilement au besoin de les libérer, mais il n'y avait pas de temps pour ça. Clarke aussi devait laisser les siens derrière. Un sacrifice pour la réussite de cette évasion. Une fois dehors, ils pourraient obtenir de l'aide pour récupérer ces gens. Clarke fut interpellée par un corps suspendu par les pieds, des tuyaux attachés à son corps. Un liquide pourpre s'écoulait à l'intérieur. Il quittait le corps du natif suspendu. Clarke n'eut pas à l'examiner plus longtemps, elle avait comprit. Les montagnards utilisaient le sang des natifs pour se soigner. Elle avait appris que la moindre radiation pouvait leur être fatale et elle venait de découvrir comment ils s'en soignaient.

Alors c'est pour ça qu'ils capturaient des natifs. Peut-être même que les délinquants avaient été enlevés dans un but de recherche. Ses amis étaient peut-être plus en danger que Clarke ne le pensait. Elle tourna les talons et chercha un indice de sortie. Elle découvrit bientôt un renfoncement qui débouchait sur une pièce adjacente et s'y précipita. A l'extérieur, les pas des hommes soldats se faisaient lourds. Ils seraient bientôt là. Des coups de feu résonnèrent. Ils étaient là.
Dans cette nouvelle partie de la salle, Clarke trouva enfin ce qui se rapprochait le plus d'une sortie : une trappe, dont l'issue était inconnue à la jeune femme. Mais tant pis. Plus le temps dé réfléchir. Plus le temps d'avoir peur. Il fallait sauter. Clarke appela Anya et l'autre native. Les deux devaient passer en première, Clarke étant armée d'une arme à feu. Cette dernière savait que leur meilleure chance de s'en sortir en vie était de laisser leurs différences de côté et de se serrer les coudes, alors elle faisait un premier pas vers elles en assurant leurs arrières.
La trappe ouverte, ils ne leur restaient plus qu'à s'y glisser.

Les deux femmes sautèrent l'une après l'autre dans la trappe. Elles avaient traîné dans la salle remplie de cages, perdant de précieuses secondes, mais les cages étaient remplies de natifs, et Clarke avait compris qu'ils n'étaient pas inconnus de ses camarades de route. Elle préféra ne pas penser à l'initiative d'avoir les siens dans ses cages. Si ç'avait été le cas, aurait-elle même été capable de partir comme Anya et l'autre native l'avaient fait ?
Risquer de gâcher ses chances de partir pour sauver les siens, tandis que Joshua s'était sacrifié pour leur permettre de s'enfuir. Un bruit sourd résonna contre la porte de la grande salle et Clarke ne perdit plus de temps : elle se jeta dans la trappe, arme au poing. Elle atterrit sur une surface molle et dure à la fois. Son visage se décomposa lorsqu'elle s'aperçut qu'il s'agissait de corps. Certains étaient même encore en vie, mais Clarke n'avait pas le temps de s'en occuper.

Elle se souvint de tous ceux encore enfermés dans des cages, les tubes pompant leur sang, et les siens encore emprisonnés dans le Mont.
- On reviendra pour eux, déclara-t-elle en escaladant le grand bac de métal dans lequel elle était tombée. Aucun bruit ne résonnait dans le boyau qui les avait amenées ici, mais des ombres et des rires se faisaient entendre entre les murs. L'endroit ressemblait à une grotte. Une vieille voie serrée marquait le sol. Clarke n'en avait jamais vue, on lui en avait seulement parlée. Une mine ? Déconfite.
Des faucheurs, précisa la native à côté d'elle, et cela rappela à Clarke les êtres qui l'avaient attaquée sur le flanc du Mont, dix jours plus tôt. Ceux qui avaient enlevés David. Clarke comprit alors la remarque de la femme des bois. Ses souvenirs étaient flous, mais elle se souvenait avoir accusé les natifs de cette attaque. Mais ce n'étaient pas vraiment des natifs... c'était des créations du Mont. A elles trois, elles n'arriveraient jamais à les vaincre, arme à feu ou non. Elle avait vu les faucheurs en action, ils n'avaient pas de crainte. Les montagnards avaient dû leur laver le cerveau...
Il n'y avait qu'une solution à ça. Clarke avait bien trop peur de se faire emprisonner à nouveau pour ne pas jouer la carte de la stupidité.
- Courez, et elle s'élança dans le couloir opposé à celui duquel venaient les bruits. Ils allaient forcément les entendre, s'ils n'avaient pas déjà entendus les bruits sourds de leurs corps chutant dans le chariot métallique. Mais à trois, elles n'avaient que cette possibilité de fuite. Même si elles avaient voulu essayer, il aurait été impossible de se cacher toutes les trois sous les corps sans se faire repérer ou rattraper par les soldats du Mont. Ces derniers devaient déjà être en route. Il fallait se dépêcher.

Clarke n'avait déjà plus d'air, mais elle courait. Elle courait le plus vite qu'il lui était possible d'avancer, peut-être même plus vite encore que cette nuit où elle avait fui la surface du Mont Weather après avoir été attaquée par les Faucheurs. Le temps passait, elle manquait d'air, devenait folle. Les couloirs se ressemblaient, mais elle refusait de s'arrêter. Cela paya, puisqu'enfin, elle déboucha sur l'air libre. Elle voulut y courir, mais fut brusquement arrêtée par le vide.
Elle se trouvait au-dessus d'un barrage. La chute d'eau ne semblait pas seulement gigantesque, mais aussi fatale. La seule issue de ces couloirs de l'enfer pourrait les tuer.

La sensation d'étouffer pendant la chute. L'asphyxie réelle que provoquait l'eau au contact du corps. Clarke était entièrement immergée. Elle avait chuté de haut, sans s'y attendre, poussée par l'une des deux natives, et avait découvert le froid glacial de l'eau du barrage. Elle avait flotté quelques secondes avant de se rendre compte qu'elle coulait. L'eau l'avait giflée lorsqu'elle était entrée à son contact, elle était sonnée, mais restait consciente. Consciente de son corps qui chutait vers le fond. Consciente du ciel qui s'éloignait au-dessus d'elle. Consciente de l'air qui quittait ses poumons pour créer des petites bulles dans l'eau. Consciente de l'eau qui s'insinuait dans ses narines, sa trachée, puis ses poumons alors qu'elle tentait de respirer en vain.

L'eau avait beau être douce, elle piquait atrocement les yeux de Clarke qui se fermèrent. Le nez se trémoussait pour tenter de libérer l'eau qui s'y était insinuée, mais il était trop tard. Clarke battait des bras et des jambes sans parvenir à remonter. Le courant la bousculait et elle continuait de s'enfoncer. Bientôt, elle toucherait le fond. Elle qui pensait l'avoir déjà touché depuis longtemps, voilà qu'elle allait s'y trouver littéralement. Sous l'eau, un rire cynique libéra les poumons de Clarke d'une gorgée d'eau, pour au retour en ramener deux fois plus. La tête de Clarke allait imploser, puis exploser, et son cerveau écrasé se laisserait emporter par le courant. C'est ainsi que Clarke le voyait. Une fin sinistre. Sa fuite était réussie, elle était dehors. Mais dehors, elle n'avait pas tenu longtemps.

Le corps de Clarke gisait sur la berge. Elle le sentait, comme séparée de son corps, le poids de celui-ci écrasé contre les rochers. Elle avait été tirée hors de l'eau. Et l'eau qui emplissait ses poumons fut brusquement repoussée, tirée vers l'extérieur par une force qui dépassa Clarke. Elle se contenta de recracher toute l'eau, un goût étrange sur les lèvres. Il lui était familier et lointain à la fois. A peine réveillée, Clarke avait une sensation de déjà vu. Elle avait déjà perdu connaissance dans l'eau, elle avait déjà perdu la capacité de respirer, elle avait déjà été réanimée par... ses yeux s'ouvrirent grands sur la personne agenouillée à côté d'elle. La native. Pas la même. Une autre. Celle qui la suivait lors de son évasion avec... Anya était un peu plus loin. Elle avait laissé l'autre native la sauver... fainéantise ou dédain ?
Josh. Il y a lui, aussi. Les visages qui repassaient dans l'esprit de Clarke. Le jeune homme était mort en les aidant à s'évader. Encore une vie détruite sur les pas de Clarke. Elle faisait plus de mal que de bien. Et pourtant, on continuait de la sauver... la question, maintenant que la tête de Clarke avait repris son fonctionnement rationnel, était de savoir ce pourquoi on l'avait ramenée à la vie.
Elle pouvait être un atout de plusieurs manières, et Clarke craignait de se retrouver prisonnière. Deux natives contre elle, plus aucune arme - elle avait perdu la sienne pendant sa chute inattendue. Elle n'eut pas besoin de raisonner pour deviner qui l'avait poussée dans le vide. Seule Anya avait fait preuve d'une telle fourberie ! Quoi que, elle ne connaissait pas cette autre native, qu'elle avait à peine aperçue lors de sa première capture, avant qu'elle ne s'évanouisse. Qui sait ce que cette femme avait pu faire par le passé...
Clarke tenta de se lever, avec peine, beaucoup de mal même, mais il lui fallait avancer, faire quelque chose très vite, car le Mont Weather restait proche et les gardes montagnards pouvaient se mettre à leur poursuite à tout moment. Ils étaient sûrement en train d'enfiler leurs épaisses combinaisons pour sortir à l'extérieur. Clarke avait appris plusieurs choses sur eux. Premièrement, ils étaient tous bloqués à l'intérieur du bunker. Deuxièmement, tous n'avaient pas de mauvaises intentions envers les habitants extérieurs. Troisièmement, les personnes aux mauvaises intentions utilisaient le sang des natifs en médicament.
Elle tenait sur ses jambes. Clarke tenait debout, ce qui la soulagea un instant, mais sa tête lui tournait, elle devait aller doucement, ce qui l'empêchait de fuir. La coopération avec les deux natives libres étaient sa seule solution pour s'en sortir... quitte à être capturée.
- Nous devons informer nos peuples de ce qui se passe au sein du Mont, tenta-t-elle en pourparler.
Elle avait hésité à dire informer nos chefs, mais cela reviendrait à annoncer aux deux femmes qu'elle n'était pas la véritable cheffe de son peuple, et que, par conséquent, elle ne leur serait pas d'une valeur suprême. Elle devait choisir ses mots pour ne pas perdre d'importance et risquer la mort. Elle avait su voir du bon en certains natifs, mais ce bon était fragile, car ce peuple semblait être issu d'un océan de mal pourpre.